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ÉPITRE À LA DUCHESSE DU MAINE. 83

cela est petit et puéril, il le faut dire hardi ment ; et ces petitesses nous mettraient prodigieusement au-dessous des Athéniens si nos grands maîtres n’avaient racheté ces défauts, qui sont de notre nation, par les suhlinies beautés qui sont uniquement de leur génie.

Une chose à mon sens assez étrange, c’est que les grands poètes tragiques d’Athènes aient si souvent traité des sujets où la nature étale tout ce qu’elle a de touchant, une Electre, ime Jphigénie, une iAIérope, un Alcméon, et que nos grands modernes, négligeant de tels sujets, n’aient presque traité que l’amour, qui est souvent plus propre à la comédie qu’à la tragédie. Ils ont cru quelquefois ’ ennoblir cet amour par la politique ; mais un amour qui n’est pas furieux est froid, et une politique qui n’est pas une ambition forcenée est plus froide encore. Des raisonnements politiques sont bons dans Polybe, dans. Alachiavel ; la galanterie est à sa place dans la comédie et dans des contes : mais rien de tout cela n’est digne du pathétique et de la grandeur de la tragédie.

Le goût de la galanterie avait, dans la tragédie, prévalu au point qu’une grande princesse*, qui, par son esprit et par son rang, semblait en quelque sorte excusable de croire que tout le monde devait penser comme elle, imagina qu’un adieu de Titus et de Bérénice était un sujet tragique : elle le donna cà traiter aux deux maîtres de la scène. Aucun des deux n’avait jamais fait de pièce dans laquelle l’amour n’eût joué un principal ou un second rôle ; mais l’un n’avait jamais parlé au cœur que dans les seules scènes du Cid, qu’il avait imitées de l’espagnol ; l’autre, toujours élégant et tendre, était éloquent dans tous les genres, et savant dans cet art enchanteur de tirer de la plus petite situation les sentiments les plus délicats : aussi le premier fit de Titus et de Bérénice un des plus mauvais ouvrages qu’on connaisse au théâtre ; l’autre trouva le secret d’intéresser pendant cinq actes, sans autre fonds que ces paroles : Je vous aime et je vous quitte. C’était, à la vérité, une pastorale entre un empereur, une reine et un roi ; et une pastorale cent fois moins tragique que les scènes intéressantes du Pastorfido. Ce succès avait persuadé tout le public et tous les auteurs que l’amour seul devait être à jamais l’Ame de toutes les tragédies.

1. Henriette d’Angleterre. C’est à dessein que Voltaire montre ici Henriette d’An- ç^leterre donnant à ti’uiter le mùnic sujet aux deux grands tragiques de son temps, Corneille et Racine. Il veut faire honte à M’"" de Pouipadour du dépit qu’elle manifestait en le voyant s’emparer des mêmes sujets que Crébillon. (G. A.)

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