Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome5.djvu/72

Cette page n’a pas encore été corrigée
LA BARONNE

Ta fille est une grande coquine.


LE PAYSAN

Ah ! Monseigneur, voilà ce que j'ai craint ;
Voilà le coup dont mon coeur est atteint :
J'ai bien pensé qu'une somme si forte
N'appartient pas à des gens de sa sorte ;
Et les petits perdent bientôt leurs moeurs,
Et sont gâtés auprès des grands seigneurs.

LA BARONNE

Il a raison : mais il trompe, et Nanine
N'est point sa fille ; elle était orpheline.

LE PAYSAN

Il est trop vrai : chez de pauvres parents
Je la laissai dès ses plus jeunes ans ;
Ayant perdu mon bien avec sa mère,
J'allai servir, forcé par la misère,
Ne voulant pas, dans mon funeste état,
Qu'elle passât pour fille d'un soldat,
Lui défendant de me nommer son père.


LA MARQUISE

Pourquoi cela ? Pour moi, je considère
Les bons soldats ; on a grand besoin d'eux.

LE COMTE

Qu'a ce métier, s'il vous plaît, de honteux ?

LE PAYSAN

Il est bien moins honoré qu'honorable.

LE COMTE

Ce préjugé fut toujours condamnable.
J'estime plus un vertueux soldat,
Qui de son sang sert son prince et l'état,
Qu'un important, que sa lâche industrie
Engraisse en paix du sang de la patrie.

LA MARQUISE

çà, vous avez vu beaucoup de combats ;
Contez-les-moi bien tous, n'y manquez pas.

LE PAYSAN

Dans la douleur, hélas ! Qui me déchire,
Permettez-moi seulement de vous dire
Qu'on me promit cent fois de m'avancer :
Mais, sans appui, comment peut-on percer ?
Toujours jeté dans la foule commune,