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ol6 TANCRÈDE.

FANIE.

Ce pas est dangereux ; mais le nom de Tancrède,

Ce nom si redoutable, à qui tout autre cède,

Et qu’ici nos tyrans ont toujours en horreur,

Ce beau nom que l’amour grava dans votre cœur,

N’est point dans cette lettre à Tancrède adressée.

Si vous l’avez toujours présent à la pensée.

Vous avez su du moins le taire en écrivant.

Au camp des Sarrasins votre lettre portée

Vainement serait lue, ou serait arrêtée.

Enfin, jamais l’amour ne fut moins imprudent,

Ne sut mieux se voiler dans l’ombre du mystère.

Et ne fut plus hardi sans être téméraire ;

Je ne puis cependant vous cacher mon effroi,

AMÉNAÏDE.

Le ciel jusqu’à présent semble veiller sur moi ; Il ramène Tancrède, et tu veux que je tremble ?

FAME.

Hélas ! qu’en d’autres lieux sa bonté vous rassemble. La haine et l’intérêt s’arment trop contre lui : Tout son parti se tait ; qui sera son appui ?

AMÉiNAÏDE.

Sa gloire. Qu’il se montre, il deviendra le maître. Un héros qu’on opprime attendrit tous les cœurs ; Il les anime tous quand il vient à paraître.

FANIE.

Son rival est à craindre.

AMÉNAÏDE.

Ah ! combats ces terreurs, Et ne m’en donne point. Souviens-toi que ma mère Nous unit l’un et l’autre à ses derniers moments ; Que Tancrède est à moi ; qu’aucune loi contraire Ne peut rien sur nos vœux et sur nos sentiments. Hélas ! nous regrettions cette île si funeste. Dans le sein de la gloire et des murs des Césars ; Vers ces champs trop aimés, qu’aujourd’hui je déteste, Nous tournions tristement nos avides regards, rétais loin de penser que le sort qui m’obsède Aie gardât pour époux l’oppresseur de Tancrède, Et que j’aurais pour dot l’exécrable présent Des biens qu’un ravisseur enlève à mon amant. Il faut l’instruire au moins d’une telle injustice ;