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vu tant de désastres ! Reconnaîtriez-vous ce portrait ? (Il tire un portrait de sa poche.)

LINDANE.

Que vois-je ? est-ce un songe ? c’est le portrait même de ma mère : mes larmes l’arrosent, et mon cœur, qui se fend, s’échappe vers vous.

MONROSE.

Oui, c’est là votre mère, et je suis ce père infortuné dont la tête est proscrite, et dont les mains tremblantes vous embrassent.

LINDANE.

Je respire à peine ! où suis-je ? Je tombe à vos genoux ! Voici le premier instant heureux de ma vie… Ô mon père ! … hélas ! comment osez-vous venir dans cette ville ? Je tremble pour vous au moment que je goûte le bonheur de vous voir.

MONROSE.

Ma chère fille, vous connaissez toutes les infortunes de notre maison ; vous savez que la maison des Murray, toujours jalouse de la nôtre, nous plongea dans ce précipice. Toute ma famille a été condamnée ; j’ai tout perdu. Il me restait un ami qui pouvait, par son crédit, me tirer de l’abîme où je suis, qui me l’avait promis ; j’apprends, en arrivant, que la mort me l’a enlevé, qu’on me cherche en Écosse, que ma tête y est à prix. C’est sans doute le fils de mon ennemi qui me persécute encore : il faut que je meure de sa main, ou que je lui arrache la vie.

LINDANE.

Vous venez, dites-vous, pour tuer milord Murray ?

MONROSE.

Oui, je vous vengerai, je vengerai ma famille, ou je périrai ; je ne hasarde qu’un reste de jours déjà proscrits.

LINDANE.

Ô fortune ! dans quelle nouvelle horreur tu me rejettes ! Que faire ? quel parti prendre ? Ah, mon père !

MONROSE.

Ma fille, je vous plains d’être née d’un père si malheureux.

LINDANE.

Je suis plus à plaindre que vous ne pensez… Êtes-vous bien résolu à cette entreprise funeste ?

MONROSE.

Résolu comme à la mort.

LINDANE.

Mon père, je vous conjure, par cette vie fatale que vous m’avez donnée, par vos malheurs, par les miens, qui sont peut-être plus