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ce n’est pas assez, vous les dotez de la plus grande partie de votre bien. Vingt mille drachmes ! Justes dieux, vingt mille drachmes ! n’êtes-vous pas honteux ? De quoi vivrez-vous à l’âge de soixante et dix ans ? Qui paiera vos médecins, quand vous serez malade ? vos avocats, quand vous aurez des procès ? Enfin que ferai-je, quand ce fripon, ce cou tors d’Anitus et son parti, que vous auriez eus pour vous, s’attacheront à vous persécuter, comme ils ont fait tant de fois ? Le ciel confonde les philosophes et la philosophie, et ma sotte amitié pour vous ! Vous vous mêlez de conduire les autres, et il vous faudrait des lisières ; vous raisonnez sans cesse, et vous n’avez pas le sens commun. Si vous n’étiez pas le meilleur homme du monde, vous seriez le plus ridicule et le plus insupportable. Écoutez : il n’y a qu’un mot qui serve : rompez dans l’instant cet impertinent marché, et faites tout ce que veut votre femme.

SOCRATE.

C’est très bien parler, ma chère Xantippe, et avec modération ; mais écoutez-moi à votre tour. Je n’ai point proposé ce mariage. Sophronime et Aglaé s’aiment, et sont dignes l’un de l’autre. Je vous ai déjà donné tout le bien que je pouvais vous céder par les lois ; je donne presque tout ce qui me reste à la fille de mon ami : le peu que je garde me suffit. Je n’ai ni médecin à payer, parce que je suis sobre ; ni avocat, parce que je n’ai ni prétentions ni dettes. À l’égard de la philosophie que vous me reprochez, elle m’enseigne à souffrir l’indignation d’Anitus, et vos injures ; à vous aimer malgré votre humeur.

Il sort.

Scène IV.

XANTIPPE.

Le vieux fou ! Il faut que je l’estime malgré moi ; car, après tout, il y a je ne sais quoi de grand dans sa folie. Le sang froid de ses extravagances me fait enrager. J’ai beau le gronder, je perds mes peines. Il y a trente ans que je crie après lui ; et quand j’ai bien crié, il m’en impose, et je suis toute confondue : est-ce qu’il y aurait dans cette âme-là quelque chose de supérieur à la mienne ?