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SOPHRONIME.

Je vous l’avais bien dit, Socrate, que ses raisons ne vaudraient rien : si elle m’aime, ne suis-je pas assez riche ? Je n’ai subsisté, il est vrai, que par vos bienfaits ; mais il n’est point d’emploi pénible que je n’embrasse pour faire subsister ma chère Aglaé. Je devrais, il est vrai, lui faire le sacrifice de mon amour, lui chercher moi-même un parti avantageux : mais j’avoue que je n’en ai pas la force ; et par là je suis indigne d’elle. Mais si elle pouvait se contenter de mon état, si elle pouvait s’abaisser jusqu’à moi ! Non, je n’ose le demander, je n’ose le souhaiter ; et je succombe à un malheur qu’elle supporte.

SOCRATE.

Mes enfants, Xantippe est bien indiscrète de vous avoir montré ce testament ; mais croyez, belle Aglaé, qu’elle vous a trompée.

AGLAÉ.

Elle ne m’a point trompée : j’ai vu de mes yeux ma misère ; l’écriture de mon père m’est assez connue. Soyez sûr, Socrate, que je saurai soutenir la pauvreté ; je sais travailler de mes mains : c’est assez pour vivre, c’est tout ce qu’il me faut ; mais ce n’est pas assez pour Sophronime.

SOPHRONIME.

C’en est trop mille fois pour moi, âme tendre, âme sublime, digne d’avoir été élevée par Socrate : une pauvreté noble et laborieuse est l’état naturel de l’homme. J’aurais voulu vous offrir un trône ; mais si vous daignez vivre avec moi, notre pauvreté respectable est au-dessus du trône de Crésus.

SOCRATE.

Vos sentiments me plaisent autant qu’ils m’attendrissent ; je vois avec transport germer dans vos coeurs cette vertu que j’y ai semée. Jamais mes soins n’ont été mieux récompensés ; jamais mon espérance n’a été plus remplie. Mais encore une fois, Aglaé, croyez-moi, ma femme vous a mal instruite. Vous êtes plus riche que vous ne pensez. Ce n’est pas à elle, c’est à moi que votre père vous a confiée. Ne peut-il pas avoir laissé un bien que Xantippe ignore ?

AGLAÉ.

Non, Socrate, il dit précisément dans son testament qu’il me laisse pauvre.

SOCRATE.

Et moi je vous dis que vous vous trompez, qu’il vous a laissé de quoi vivre heureuse avec le vertueux Sophronime, et qu’il faut que vous veniez tous deux signer le contrat tout-à-l’heure.