Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome5.djvu/210

Cette page n’a pas encore été corrigée

200 AVERTISSEMENT.

Le même jour, autre lettre non moins enthousiaste à la duchesse du Maine : « Madame, Votre Altesse Sérénissime est obéie, non pas aussi bien, mais aussi promptement qu’elle mérite de l’être. Vous m’avez ordonné Caldina, et c’est fait. La petite-fille du iz ; rand Condé, la conservatrice du bon goût et du bon sens, avait raison d’être indignée de voir la farce monstrueuse du Calilina de Crébillon trouver des approbateurs. Jamais Rome n’avait été plus avilie, et jamais Paris plus ridicule. Votre belle âme voulait venger l’honneur de la France ; mais j’ai bien peur (ju’elle n’ait remis sa vengeance à d’indignes mains. Je ne réponds, madame, que de mon zèle ; il a peut-être été trop prompt. Je me suis tellement rempli l’esprit de la lecture de Cicéron, de Salluste et de Plutarque, et mon cœur e<t si fort échauffé par le désir de vous plaire, que j’ai fait la pièce en huit jours. Vous aurez la bonté, madame, d’y compter aussi huit nuits. Enfin l’ouvrage est achevé ; je suis épouvanté de cet effort : il n’est pas croyable ; mais il a été fait pour madame la duchesse du Maine. M"" du Chàtelet, à qui j’apportais un acte tous les deux jours, était aussi étonnée que moi… J’ai combattu pour vous sur la frontière contre les barbares ; c’est votre étendard que je porte. »

Comme nous l’avons dit dans l’Avertissement qui est on tête do la tragédie précédente, c’est Oreste qui fut présenté d’abord aux comédiens. Peu après la représentation d’Ores te. Voltaire fit jouer Rome sauvée dans son logis de la rue Traversière-Saint-TIonoré. Voltaire lui-même remplissait le rôle de Cicéron, le marquis de Thibouville celui de Catilina, et M. d’Adhémar s’était chargé du personnage de César. Les costumes qui avaient servi au Calilina de Crébillon furent prêtés aux interprètes du nouveau Calilina par la faveur du duc de Richelieu. L’auditoire était composé de d’Alembert, Diderot, Marmontel, le président Hénault, l’abbé de Voisenon, l’abbé Raynal, l’abbé d’Olivet, les ducs de Richelieu et de Lavallière, le P. de Latour, etc. La pièce fut applaudie avec enthousiasme par ces spectateurs d’élite. Voltaire fut enchanté, et fit le plus grand bruit qu’il put de cette représentation privée. 11 écrit à la duchesse du Maine : « Nous avons répété aujourd’hui la pièce avec ces changements, et devant qui, madame ? devant des cordeliers, des jésuites, des pères de l’Oratoire, des académiciens, des magistrats, qui savent leurs Catilinaires par cœur ! Vous ne sauriez croire quel succès votre tragédie a eu dans cette grave assemblée. Ah ! madame, qu’il y a loin de Rome au carmagnole ! Cependant il faut plaire même à celles qui sont occu^éQi lÏMnvieuxplein^. AmedeCornélie ! nous amènerons le sénat romain aux pieds de Votre Altesse ; après quoi il y aura grand carmagnole, car vous réunissez tout. »

Les représentations de la rue Traversière se renouvelèrent ; tout le monde voulut y assister, même MM. les comédiens ordinaires du roi. Voltaire entreprit de faire jouer Rojne sauvée à Sceaux, chez la duchesse du Maine, et il y réussit. La fête eut lieu le lundi 22 juin. Voltaire y fit le personnage de Cicéron, avec une verve extraordinaire.

1. Expression du jeu do carmagnole. Ce jeu était une sorte de biribi, où tous les joueurs avaient des tableaux et tiraient les boules chacun à leur tour.