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SUR L’ELECTRE DE SOPHOCLE. 169

vient de nous donner une traij : édie (VOresle. Erasmo di Valvasone a traduit en italien V Electre de Sophocle, et Rucellai a fait une tragédie d’Ores/e, qui se trouve dans le premier volume du Théâtre italien, donné par AI. le marquis de Maffei, à Vérone, en 1723.

Je diviserai cette dissertation en trois parties. Je rechercherai dans la première quels sont les fondements de la préférence que tous les siècles ont donnée à la tiagédie d’Electre de Sophocle sur celle d’Euripide, et sur les Choep/wres d’Eschyle.

Dans la seconde, j’examinerai sans prévention ce qu’on doit penser de l’entreprise de l’auteur de la tragédie d’Oi’esle, de traiter ce sujet sans ce que nous appelons épisodes, et avec la simplicité des anciens, et do la manière dont il a exécuté cette entreprise.

Dans la troisième et dernière partie, je ferai voir combien il est difficile de s’écarter de la route que les anciens nous ont frayée en traitant ce sujet, sans détruire le bon goût et sans tomber dans des défauts qui passent même des pensées aux expressions.

Je soumets tout ce que je dirai dans cet écrit au jugement de ceux qui aiment sincèrement les belles-lettres, qui ont fait de bonnes études, qui connaissent en même temps le génie de la langue grecque et celui de la nôtre, qui, sans être les adorateurs serviles et a\eugles des anciens, connaissent leurs beautés, les sentent, et leur rendent justice, et qui joignent l’érudition à la saine critique. Je récuse tous les autres juges comme incompétents.

Je ne cherche qu’à être uti’e : je ne veux faire ni d’éloge ni de satire. Le théâtre, que je regarde comme l’école de la jeunesse, mérite qu’on en parle d’une manière plus sérieuse et plus approfondie qu’on ne fait d’ordinaire dans tout ce qui s’écrit pour et contre les pièces nouvelles. Le public est las de tous ces écrits, qui sont plutôt des libelles que des instructions, et de tous ces jugements dictés par un esprit de cabale et d’ignorance. Quiconque ose porter un jugement doit le motiver, sans quoi il se déclare lui-même indigne d’avoir un avis : je n’ai formé le mien qu’après avoir consulté des gens de lettres les plus éclairés. C’est ce qui m’enhardit à me nommer, afin de n’être pas confondu avec les auteurs de tant d’écrits téné- breux, dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils sont inutiles.

PREMIÈRE PARTIE.

De /’Electre de Sophocle.

On a toujours regardé Y Lleclre de Sophocle comme un chef-d’œuvre, soit par rapport au temps auquel elle a été composée, soit par rapport au

1. Le P. Rapin, dans ses Uéllexions sur la Poétique, dit, après Aristote, que la tragc’-die est une leçon pul)lir|uo, phis instructive, sans comparaison, que la philosopliio, parce qu’elle instruit IVsprit par les sens, et qu’elle rectifie les passions par les passions mêmes, en calmant, par leur émotion, le trouble qu’elles excitent dans le cœur. (A’oi’e de Voltaire, ajoutre en 1757.)