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PRÉFACE. 7

on verra que Tamour y parle toujours sur un ton aussi familier et quelquefois aussi bas que riiéroïsnie s’y exprime avec une emphase ridicule ; c’est peut-être la raison pour laquelle notre nation n’eut en ce temps-là aucune comédie supportable ; c’est ([n’en effet le théâtre tragique avait envahi tous les droits de l’autre : il est même vraisemblable que cette raison détermina Molière à donner raremen t aux amants qu’il met sur la scè ne une\ passion vive et touchante : il sentait que la tragédie l’avait pré- j venu.

Depuis la SopJwnisbe de Mairet, qui fut la première pièce dans laquelle on trouva quelque régularité, on avait commencé à regarder les déclarations d’amour des héros, les réponses artificieuses et coquettes des princesses, les peintures galantes de l’amour, comme des choses essentielles au théâtre tragique. Il est resté des écrits de ce temps-là, dans lesquels on cite avec de grands éloges ces vers que dit Massinisse après la bataille de Cirthe :

J’aime plus de moitié quand je me sens aimé, Et ma flamme s’accroît par un cœur enflammé… Comme par une vague une vague s’irrite, Un soupir amoureux par un autre s’excite. Ouand les chaînes d’hymen étreignent deux esprits, Un baiser se doit rendre aussitôt qu’il est pris.

Soplionisbe, IV, i.

Cette habitude de parler ainsi d’amour influa sur les meilleurs esprits ; et ceux même dont le génie mâle et sublime était fait pour rendre en tout à la tragédie son ancienne dignité se laissèrent entraîner à la contagion.

On vit, dans les meilleures pièces,

Un malheureux visage

qui U’un chevalier romain captiva le courage.

Polyeucle. I, m.

Le héros dit à sa maîtresse (W., If, ii) :

Adieu, trop vertueux objet et trop charmant.

L’héroïne lui répond :

Adieu, trop malheureux et trop parfait amant.