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CORRESPONDANCE

seul petit enfant de trois ans qui n’avait pas encore pris la petite vérole. Il m’a inoculée le 12 octobre 1768. J’ai été très-étonnée de trouver, après cette opération, que la montagne était accouchée d’une souris ; je disais : « Il vaut bien la peine de crier contre cela, et d’empêcher les gens de se sauver la vie par une pareille misère[1]. » Il me semble que les crieurs n’ont rien à faire, ou qu’ils sont bien sots ou bien ignorants, ou bien méchants : mais laissons là ces grands enfants qui ne savent ce qu’ils disent, et qui ne parlent que pour parler

Je n’ai pas été au lit un seul instant, et j’ai vu du monde tous les jours. Je m’en vais tout de suite faire inoculer mon fils unique.

Le grand maître de l’artillerie, le comte Orlow, ce héros qui ressemble aux anciens Romains du beau temps de la république, et qui en a et le courage et la générosité, doutant s’il avait eu cette maladie, est à présent entre les mains de notre Anglais, et le lendemain de l’opération il s’en alla à la chasse dans une très-grande neige. Nombre de courtisans ont suivi son exemple, et beaucoup d’autres s’y préparent. Outre cela on inocule à présent à Pétersbourg dans trois maisons d’éducation, et dans un hôpital établi sous les yeux de M. Dimsdale.

Voilà, monsieur, les nouvelles du pôle. J’espère qu’elles ne vous seront pas indifférentes.

Les écrits nouveaux sont plus rares. Cependant il vient de paraître une traduction française de l’instruction russe donnée aux députés qui doivent composer notre code. On n’a pas eu le temps de l’imprimer. Je me hâte de vous envoyer le manuscrit, afin que vous voyiez mieux de quels points nous partons. J’espère qu’il n’y a pas une ligne qu’un honnête homme ne puisse avouer.

J’aimerais bien de vous envoyer des vers en revanche des vôtres ; mais qui n’a pas assez de cervelle pour en faire de bons fait mieux de travailler de ses mains. Voilà ce que j’ai mis en pratique : j’ai tourné une tabatière que je vous prie d’accepter. Elle porte l’empreinte de la personne qui a pour vous le plus de considération ; je n’ai que faire de la nommer, vous la reconnaîtrez aisément.

J’oubliais de vous dire que j’ai augmenté le peu ou point de médecine qu’on donne pendant l’inoculation, de trois ou quatre excellents spécifiques que je recommande à tout homme de bon sens de ne point négliger. C’est de se faire lire l’Écossaise, Candide, l’Ingénu, l’Homme aux quarante écus, et la Princesse de Babylone. Il n’y a, après cela, pas moyen de sentir le moindre mal. Le comte Schouvalow, outre cela, est un excellent lecteur.

P. S. La lettre ci-jointe était écrite il y a trois semaines. Elle attendait le manuscrit ; on a été si longtemps à le transcrire et à le rectifier que j’ai

  1. Voltaire cite cette phrase dans son opuscule De la Mort de Louis XV et de la Fatalité (Voyez tome XXIX, page 304). Cette phrase ne se trouvait pas dans l’ancien texte de la lettre de Catherine, mais elle a été restituée à l’aide des Documents russes. La note 2 de la page 304 du tome XXIX, imprimée avant la collation des lettres de Catherine sur les Documents, doit donc être supprimée.