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flatte que votre zèle, conduit par votre prudence, va servir la bonne cause avec toute la chaleur que la nature a mise dans votre cœur généreux, sincère et compatissant. Les indignes ennemis de la raison et de la vertu sentiront bientôt qu’il n’y a de raison et de vertu que chez les vrais philosophes. L’infâme Jean-Jacques est le Judas de la confrérie, mais vous ferez de dignes apôtres.

Vous savez avec quelle impatience j’attends les manuscrits de Fréret[1] que vous m’avez promis. Ceux que vous avez emportés peuvent se multiplier aisément. La lumière ne doit pas demeurer sous le boisseau[2]. Je me flatte que vous m’instruirez des querelles du parlement et du clergé ; nous sommes cette fois-ci parlementaires, et de dignes paroissiens de M. l’archevêque de Novogorod[3].

Les divisions de Genève éclateront bientôt. Il est absolument nécessaire que vous et vos amis vous répandiez dans le public que les citoyens ont raison contre les magistrats : car il est certain que le peuple ne veut que la liberté, et que la magistrature ambitionne une puissance absolue. Y a-t-il rien de plus tyrannique, par exemple, que d’ôter la liberté de la presse ? et comment un peuple peut-il se dire libre, quand il ne lui est pas permis de penser par écrit ? Quiconque a le pouvoir en main voudrait crever les yeux à tous ceux qui lui sont soumis ; tout juge de village voudrait être despotique : la rage de la domination est une maladie incurable.

Je commence à lire aujourd’hui le livre italien des Délits et des Peines[4]. À vue de pays, cela me parait philosophique ; l’auteur est un frère.

Adieu, vous qui serez toujours le mien. Adieu, mon cher ami ; périssent les infâmes préjugés, qui déshonorent et qui abrutissent la nature humaine, et vivent la raison et la probité, qui sont les protectrices des hommes contre les fureurs de l’inf… ! Adieu, encore une fois, au nom de Confucius, de Marc-Antonin, d’Épictète, de Cicéron et de Caton.

  1. La Lettre de Thrasybule à Leucippe, qui circulait en manuscrit, ne fut imprimée qu’en 1768.
  2. Matthieu, v. 15.
  3. Voyez le Mandement du révérendissime Père en Dieu, etc., tome XXV, page 345.
  4. Voltaire a fait un Commentaire sur cet ouvrage de Beccaria ; voyez tome XXV, page 539.