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ANNÉE 1766.

amuser une heure. Vous êtes pasteur, et voici une tragédie dont des pasteurs sont les héros. Il est vrai que des bergers de Scythie ne ressemblent pas à vos ouailles d’Albi ; mais il y a quelques traits où l’on retrouve son monde. On aime à voir dans des peintures, quoique imparfaites, quelque chose de ce qu’on a vu autrefois. Ces réminiscences amusent et font penser. En un mot, monseigneur, aimez toujours les vers, pardonnez aux miens, et conservez vos bontés pour votre vieux et attaché serviteur.


6627. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
22 décembre.

Je souhaite à mes anges la bonne année, c’est-à-dire quatre ou cinq bonnes pièces nouvelles, quatre ou cinq bons acteurs, et, de plus, tous les plaisirs possibles.

J’ai reçu le paquet dont vous m’honorez, du 13 de décembre. Voilà, je crois, la première fois qu’un pauvre auteur a été d’accord en tout avec ses critiques. Tout sera comme vous le désirez. Les trois quarts au moins de vos ordres sont prévenus, et vous serez ponctuellement obéis sur le reste ; mais les affaires de Genève ne laissent pas de m’embarrasser. La cessation de presque tout le commerce, qui ne se fait plus que par des contrebandiers, la cherté horrible des vivres, le redoublement des gardes des fermes, la multiplication des gueux, les banqueroutes qui se préparent, tout cela n’est point du tout poétique : on ne vivait point ainsi en Scythie.

Je ne crois point du tout qu’on se batte, mais je crois qu’on souffrira beaucoup. Si on se battait, ce serait bien pis ; on pourrait bien mettre alors le feu à la ville, et alors toutes les dettes sont payées.

Je pense encore (entre nous) qu’on aurait pu prévenir tout ce tracas ; mais, quand les choses sont faites, ce n’est pas la peine de dire ce qu’on aurait pu faire.

Les délais de Beaumont, les maudites et plates affaires dont il a été chargé si longtemps, nous ont été très-funestes : cependant son mémoire est signé de dix avocats ; on l’imprime enfin ; mais on craint le parlement de Toulouse, et je ne vois pas pourquoi on le craint. On ne veut donner le mémoire qu’aux juges ; on n’ose pas le donner au public, dont pourtant la voix dirige les juges dans des affaires si criantes. Il me semble qu’il faut avoir pour soi la clameur publique. Voyez ce qu’a produit le cri de la nation dans l’affaire des Calas. Mais enfin je ne suis pas