Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome44.djvu/554

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les affaires de Genève ne laissent pas de m’embarrasser. J’y ai une grande partie de mon bien ; toutes les caisses sont fermées. Je ne sais comment j’ai fait, moi pauvre diable, pour avoir une maison beaucoup plus grosse que celle de monsieur l’ambassadeur. Il se trouve qu’à Tournay et à Ferney je nourris cent cinquante personnes ; on ne soutient pas cela avec des vers alexandrins et des banqueroutes.

Pardonnez-moi de mettre à vos pieds mes petites peines ; c’est ma consolation.

Respect et tendresse.


6621. — À M. DAMILAVILLE.
19 décembre.

Dites, je vous prie, mon cher ami, à M. de Beaumont que j’ai reçu de M. Chardon une lettre charmante, dans laquelle il prend fort à cœur l’affaire concernant Canon[1], et celle des Sirven.

À l’égard des Sirven, j’ai pris mon parti. J’ai trouvé le public le premier des juges, et les suffrages de l’Europe me suffisent. Tant de difficultés me rebutent ; et pour peu qu’on en fasse encore, que M. de Beaumont m’envoie son mémoire, je ne veux pas autre chose ; je le ferai imprimer ; les Sirven gagneront leur cause dans l’esprit des bonnêtes gens : c’est à eux seuls que je veux plaire dans tous les genres.

Pour vous prouver que c’est aux honnêtes gens seuls que je veux plaire, je vous envoie une scène de la tragédie des Scythes. Montrez cela à Platon et à vos amis, et mandez-moi ce que vous en pensez. Il me semble qu’une tragédie dans ce goût a du moins le mérite de la nouveauté. Ce n’est pas la peine d’être imitateur, il faut se taire en tout genre quand on n’a rien de nouveau à dire. Donnez-en, je vous prie, une copie à Thieriot ; cela nourrira sa correspondance[2].

Je cultiverai, mon cher ami, les belles-lettres jusqu’au dernier moment de ma vie, malgré tout le mal qu’elles m’ont fait. Je sais que, dès qu’on a donné un ouvrage passable, la canaille de la littérature jette les hauts cris ; elle ne peut rien contre l’ouvrage, mais elle calomnie l’auteur. S’il réussit, on ne manque pas de l’appeler déiste, ou athée, ou même encyclopédiste ; s’il

  1. Voyez, une note sur la lettre 6528.
  2. Thieriot était correspondant littéraire de Frédéric II.