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au bout de peu de temps. La petite dose de bon sens répandue sur la surface de ce globe est, ce me semble, suffisante pour fonder une société généralement répandue, à peu près comme celle des jésuites, mais non pas un État. J’envisage les travaux de nos philosophes d’à présent comme très-utiles, parce qu’il faut faire honte aux hommes du fanatisme et de l’intolérance, et que c’est servir l’humanité que de combattre ces folies cruelles et atroces qui ont transformé nos ancêtres en bêtes carnassières : détruire le fanatisme, c’est tarir la source la plus funeste des divisions et des haines présentes à la mémoire de l’Europe, et dont on découvre les vestiges sanglants chez tous les peuples. Voilà pourquoi vos philosophes, s’ils viennent à Clèves, seront bien reçus ; voilà pourquoi le baron de Werder, président de la chambre, a déjà été prévenu de les favoriser pour leur établissement ; ils y trouveront sûreté, faveur, et protection ; ils y feront en liberté des vœux pour le patriarche de Ferney, à quoi j’ajouterai un hymne en vers au dieu de la santé et de la poésie, pour qu’il nous conserve longues années son vicaire helvétique, que j’aime cent fois mieux que celui de saint Pierre, qui réside à Rome. Adieu.

P. S. Vous me demandez[1] ce qu’il me semble de Rousseau de Genève ? Je pense qu’il est malheureux, et à plaindre. Je n’aime ni ses paradoxes, ni son ton cynique. Ceux de Neuchâtel en ont mal usé envers lui : il faut respecter les infortunés ; il n’y a que des âmes perverses qui les accablent.


6618. — À M. DAMILAVILLE.
17 décembre.

Mon cher ami, l’affaire des Sirven m’empêche de dormir. Il serait bien affreux que les retardements de M. de Beaumont eussent détruit nos plus justes espérances. S’il y a des avocats qui fassent les difficiles, il faut en trouver qui fassent leur devoir en les bien payant. Il ne sera pas difficile d’en avoir trois ou quatre qui signent ; cela nous suffira. Tout ce que demandent les Sirven, c’est l’impression du mémoire ; ils veulent encore plus gagner leur cause devant le public que devant le conseil. Si nous pouvons obtenir une évocation, à la honne heure ; sinon nous aurons du moins pour nous l’éloquence et la vérité, et ce qu’on aurait payé en procédures sera tout au profit d’une famille infortunée.

Les affaires de Genève se brouillent terriblement. J’ai peur que ces dissensions n’aient une fin funeste. Cela retarde la petite affaire de votre ami, M. de Lemberta[2]. On n’en peut rien

  1. La lettre où Voltaire fait cette demande manque.
  2. D’Alembert.