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6529. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
8 octobre.

Vraiment, mes adorables anges, je ne suis pas étonné que le prophète Élie de Beaumont ne vous ait pas envoyé son mémoire pour les Sirven ; la raison en est bien claire, c’est que ce mémoire n’est pas encore fait. Il m’avait mandé, il y a près de deux mois, qu’il l’avait remis entre les mains de plusieurs avocats pour le signer, et M. Damilaville lui avait déjà donné quelque argent de ma part : je croyais même déjà l’ouvrage imprimé, je me hâtais de demander un rapporteur, je sollicitais votre protection et celle de vos amis ; mais enfin il s’est trouvé que Beaumont avait pris le futur pour le passé. Je vois qu’il a été un peu désorienté par deux causes malheureuses qu’il a perdues coup sur coup. Il ne faudrait pas que le défenseur des Calas se chargeât jamais d’une cause équivoque : celle des Sirven lui aurait fait un honneur infini.

Il a encore, comme vous savez, un procès très-intéressant au nom de sa femme ; mais je tremble encore pour ce procès-là[1]. Il a le malheur d’y réclamer les lois rigoureuses contre les protestants, lois dont il avait tant fait sentir la dureté, non-seulement dans l’affaire des Calas, mais dans une autre encore que je lui avais confiée. Cette funeste coutume des avocats de soutenir ainsi le pour et le contre pourra lui faire grand tort, et en fera sûrement à la cause des Sirven : cependant l’affaire est entamée, il la faut suivre. J’ai obtenu pour cette malheureuse famille Sirven la protection de plusieurs princes étrangers ; je leur ai écrit que le factum était prêt : s’il ne paraît pas, ils seront en droit de croire que je les ai trompés. Je ne me rebute point, mais je suis fort affligé.

Je ne le suis pas moins que vous n’ayez pas reçu le Commentaire sur les Délits et les Peines[2], par un avocat de Besançon. Je sais bien que M. Janel a des ordres positifs de ne laisser passer aucune brochure suspecte par la voie de la poste ; mais cette brochure est très-sage, elle me paraît instructive ; il n’y a aucun mot qui puisse choquer le gouvernement de France, ni aucun gouvernement. Je reçois tous les jours, par la poste, tous les imprimés qui paraissent ; on les laisse tous arriver sans aucune dif-

  1. Voyez lettre 6528.
  2. Voyez cet ouvrage, tome XXV, page 539.