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ANNÉE 1766.

Vous avez daigné me mettre en bonne compagnie dans votre excellent ouvrage ; moins je mérite cette place, plus je dois remercier celui qui me la donne.

J’ai l’honneur d’être avec tous les sentiments que je vous dois, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.


Voltaire.

6468. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Potsdam, 13 août.

Je compte que vous aurez déjà reçu ma réponse à votre avant-dernière lettre[1]. Je ne puis trouver l’exécution d’Abbeville aussi affreuse que l’injuste supplice de Calas. Ce Calas était innocent ; le fanatisme se sacrifie cette victime, et rien dans cette action atroce ne peut servir d’excuse aux juges. Bien loin de là, ils se soustraient aux formalités des procédures, et ils condamnent au supplice sans avoir des preuves, des convictions, des témoins.

Ce qui vient d’arriver à Abbeville est d’une nature bien différente. Vous ne contesterez pas que tout citoyen doit se conformer aux lois de son pays ; or il y a des punitions établies par les législateurs pour ceux qui troublent le culte adopté par la nation. La discrétion, la décence, surtout le respect que tout citoyen doit aux lois, obligent donc de ne point insulter au culte reçu, et d’éviter le scandale et l’insolence. Ce sont ces lois de sang qu’on devrait réformer, en proportionnant la punition à la faute ; mais tant que ces lois rigoureuses demeureront établies, les magistrats ne pourront pas se dispenser d’y conformer leur jugement.

Les dévots en France crient contre les philosophes, et les accusent d’être la cause de tout le mal qui arrive. Dans la dernière guerre, il y eut des insensés qui prétendirent que l’Encyclopédie était cause des infortunes qu’essuyaient les armées françaises. Il arrive pendant cette effervescence que le ministère de Versailles a besoin d’argent, et il sacrifie au clergé, qui en promet, des philosophes qui n’en ont point, et qui n’en peuvent donner. Pour moi, qui ne demande ni argent ni bénédictions, j’offre des asiles aux philosophes, pourvu qu’ils soient sages et qu’ils soient aussi pacifiques que le beau titre dont ils se parent le sous-entend[2] : car toutes les vérités ensemble qu’ils annoncent ne valent pas le repos de l’âme, seul bien dont les hommes puissent jouir sur l’atome qu’ils habitent. Pour moi, qui suis un raisonneur sans enthousiasme, je désirerais que les hommes fussent raisonnables, et surtout qu’ils fussent tranquilles.

Nous connaissons les crimes que le fanatisme de religion a fait commettre. Gardons-nous d’introduire le fanatisme dans la philosophie ; son caractère

  1. Il manque plusieurs lettres de Frédéric et de Voltaire, appartenant à l’année 1766.
  2. « L’exige. » (Èdit. de Berlin.)