Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome44.djvu/320

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
310
CORRESPONDANCE.

Je vois par l’excès de vos bontés que vous vous intéressez à l’auteur et à l’ouvrage ; cet ouvrage me paraît excellent. On n’a jamais ni cité avec plus de fidélité, ni raisonné avec plus de justesse. J’aime passionnément l’auteur, quel qu’il soit. Je voudrais être assez heureux pour vous tenir avec lui dans mon ermitage. Je sais bien que l’auteur n’est pas prêtre ; mais je voudrais le prendre pour mon confesseur. Je n’ai pas longtemps à vivre ; je trouverais fort doux d’être assisté à la mort par un pareil chrétien.

J’ai lu le livre deux fois, je le relirai une troisième, et je vous remercierai toute ma vie. V.

Je rouvre ma lettre aussi proprement que je le puis pour vous supplier, monsieur, de vouloir bien me dire s’il est vrai que le roi ait ordonné que l’on conservât les jésuites en Lorraine. Le livre que vous m’avez envoyé m’apprend à douter de tout ; mais je croirai ce que vous me direz.


6367. — À CATHERINE II[1].
impératrice de russie.
À Ferney, par Genève, 21 juin 1766.

Madame, c’est maintenant vers l’étoile du Nord qu’il faut que tous les yeux se tournent. Votre Majesté impériale a trouvé un chemin vers la gloire, inconnu avant elle à tous les autres souverains. Aucun ne s’était avisé de répandre des bienfaits à sept ou huit cents lieues de ses États. Vous êtes devenue réellement la bienfaitrice de l’Europe, et vous avez acquis plus de sujets par la grandeur de votre âme que d’autres n’en peuvent conquérir par les armes.

Il y a peut-être de l’indiscrétion à oser implorer la protection de Votre Majesté pour les Sirven, après les bontés dont elle a comblé la famille Calas. Je sais ce que Votre Majesté fait de grand et d’utile pour ses peuples. Ce serait se rendre coupable envers eux que de vous supplier de détourner pour une malheureuse famille du Languedoc une partie de la source des biens que vous répandez en Russie. Je ne prends la liberté de vous écrire, madame, que pour vous prier de modérer vos bontés. Le moindre secours nous suffira. Nous ne demanndons que l’honneur de placer votre au-

  1. Collection de Document, Mémoires et Correspondances relatifs à l’histoire de l’empire de Russie, tome X, page 95.