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CORRESPONDANCE.

Je me souviens de la leçon :
L’un plut à ma coquetterie,
Et l’autre plait à ma raison.


Voudrez-vous bien vous charger de mes compliments pour madame ? Je vous envoie une bouffonnerie que j’ai adressée à Mlle Clairon. De grâce, ne nommez pas l’auteur. V.


6318. — À MADAME LA COMTESSE D’ARGENTAL.
18 avril.

Je remercie bien l’une de mes anges de son aimable lettre. Je conviens avec elle que la première maxime de la politique est de se bien porter. Il est certain que le travail forcé abrège les jours ; mais vous conviendrez aussi, mes anges, que la correspondance avec les cabinets de tous les princes de l’Europe est plus agréable qu’une relation suivie avec des charpentiers de vaisseaux, et avec des entrepreneurs vous faisant le détail de leur équipement et de tous leurs agrès ; c’est une langue toute nouvelle, et que je soupçonne d’être fort rebutante. Il me semble qu’un bénéfice simple de chef du conseil des finances, avec cinquante mille livres de rente, est beaucoup plus plaisant. Je tiens d’ailleurs qu’il n’est beau d’être à la tête d’une marine que quand on a cent vaisseaux de ligne, sans compter les frégates.

À propos de marine, le Sextus-Pompée[1] de mon petit ex-jésuite était un très-grand marin ; il désola quelque temps ces marauds de triumvirs sur mer. L’auteur a bien retravaillé, il a radoubé son vaisseau tant qu’il a pu ; mais il dit que sa barque n’arrivera jamais à Tendre[2]. Ce qui lui plaît actuellement de cet ouvrage, c’est qu’il a fourni des remarques assez curieuses sur l’histoire romaine, et sur les temps de barbarie et d’horreur que chaque nation a éprouvés. Le tout pourra faire un volume qui amusera quelques penseurs ; c’est à quoi il faut se réduire.

Mlle Clairon me mande qu’elle ne rentrera point. On veut s’en tenir à la déclaration de Louis XIII. On ne songe pas, ce me semble, que du temps de Louis XIII les comédiens n’étaient pas pensionnaires du roi, et qu’il est contradictoire d’attacher quelque honte à ses domestiques. Je ne puis blâmer une actrice qui aime

  1. Personnage de la tragédie du Triumvirat.
  2. La carte du pays de Tendre est au premier livre de Clélie, roman de Mlle de Scudéri.