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ANNÉE 1766.

lement des papes et de Luther, on secoue un respect servile pour des opinions ridicules ; la raison gagne, et l’autorité sacerdotale perd beaucoup[1]. Les princes ne peuvent que gagner à cela, car il faut avouer que leurs plus grands ennemis ont toujours été les prêtres. Je suis bien trompé, ou l’on ne se battra plus pour des billevesées théologiques. C’est le plus grand bien que la philosophie pût faire aux hommes.

Quant aux Lettres de la montagne, elles ont un peu éveillé les citoyens de Genève ; mais elles ne causeront point de guerre civile, les citoyens sont trop riches pour se battre.

Je me mets aux pieds de Votre Altesse sérénissime avec le plus profond respect.

J’apprends dans le moment que la reine de France est assez mal, et qu’elle crache du pus.


6313. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
6 avril.

J’ai montré au petit apostat la lettre de mes anges, et leurs judicieuses observations. En vérité, ce pauvre jeune homme est à plaindre. « Vos anges voient clair, m’a-t-il dit ; je pourrais disputer avec eux sur un ou deux points ; mais je ne veux pas songer à des coups d’épingle lorsque je me meurs de la consomption. Je peux bien promettre à vos anges une cinquantaine de vers bien placés et vigoureux ; je pourrai limer, polir, embellir ; mais comment intéresser dans les deux derniers actes ? Les gens outragés qui se vengent n’arrachent point le cœur ; c’est quand on se venge de ce qu’on adore qu’on fait des impressions profondes, et qu’on enlève les suffrages ; deux personnes qui manquent à la fois leur coup font encore un mauvais effet : cette dernière réflexion me tue. Ma maison est tellement construite que je ne poux en ôter ce triste fondement. Tout ce que je puis faire, c’est de dorer et de vernir les appartements, et de les dorer si bien qu’on pardonne les défauts de l’édifice. Écrivez donc à vos anges qu’ils aient la bonté de me renvoyer mes cinq chambres[2], afin que je les dore à fond. »

Ayez donc pitié de ce pauvre diable, je vous en prie. Gloire vous soit rendue à jamais pour avoir réhabilité un art charmant

  1. On lit en marge de ces trois lignes : Dans les affaires d’État. (A. F.)
  2. Les cinq actes de la tragédie du Triumvirat.