Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome44.djvu/218

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sérieuse, je ferais un petit Lutrin de la querelle de Genève[1]. J’ai vu l’esquisse du mémoire d’Élie de Beaumont. Je me flatte qu’il fera un très-grand effet, et que nous obtiendrons un arrêt d’attribution. Vous nous protégerez, mes chers anges. Il est bon d’écraser deux fois le fanatisme ; c’est un monstre qui lève toujours la tête. J’ai dans la mienne de soulever l’Europe pour les Sirven ; vous m’aiderez.

Respect et tendresse.


6259. — À M. JABINEAU DE LA VOUTE[2].
4 février.

Monsieur, vous sentez bien que je suis partie dans la cause que vous défendez si bien ; je vous dois autant de remerciements que d’éloges ; votre mémoire me paraît convaincant.

Oserais-je vous supplier seulement de ne point faire sans correctif le triste aveu que les comédiens ont été déclarés infâmes à Rome ?

Premièrement, je ne vois point de loi expresse, permanente, et publiquement reconnue, qui prononce cette infamie. La loi dont les ennemis des arts triomphent est au titre ii du livre II du Digeste. Cette loi ne fait point partie des lois romaines, ce n’est qu’un édit du préteur, et cet édit changeait tous les ans. C’est Ulpien qui cite cet édit, sans dire à quelle occasion il fut promulgué, et dans quelles bornes il était renfermé. Ulpien est, chez les Romains, ce que sont, chez les Welches, Charondas, Rebuffe, et autres, qu’on n’a jamais pris pour des législateurs.

2° Il n’y a aucun jurisconsulte romain ni aucun auteur qui aient dit qu’on regardât comme infâmes ceux qui déclamèrent des tragédies et qui récitèrent des comédies sur les théâtres construits par les consuls et par les empereurs. Ne doit-on pas interpréter des édits vagues et obscurs par des lois claires et reconnues qui les expliquent ? Si l’édit rapporté au livre II du Digeste parle de l’infamie attachée à ceux qui in scenam prodeunt, la loi de Valentinien, qu’on trouve au titre iv du livre Ier du Code, donne le sens précis de la loi du préteur, citée au Digeste. Elle dit : Mimæ, et quæ ludibrio corporis sui quæstum faciunt, etc. Les mimes et celles qui prostituent leur corps, etc.

  1. Voltaire fit en effet un poëme intitulé la Guerre civile de Genève ; voyez, tome IX.
  2. Voyez la lettre précédente.