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pas un bon mot. Il est très-vrai que la mort de Calas est un assassinat affreux, commis en cérémonie[1] ; mais il faut se contenter de le faire sentir sans le dire.

Le père Corneille est venu voir sa fille. Je ne crois pas qu’à eux deux ils viennent à bout de faire une tragédie : mais le père est un bonhomme, et la fille une bonne enfant.

Il n’y a point de trouble à Genève, comme on se tue de le dire : il n’y a que des tracasseries, des misères, des pauvretés auxquelles les médiateurs mettront ordre dans quatre jours.

Le docteur Tronchin doit être parti aujourd’hui, suivi de quelques-uns de ses malades, qui le mènent en triomphe. J’espère que M. et Mme de Florian le verront dans sa gloire, et qu’ils me maintiendront dans son amitié.

J’embrasse tendrement nièce, neveu et petits-neveux.


6244. — À CATHERINE II.
impératrice de russie.
24 janvier.

Madame, la lettre[2] dont Votre Majesté impériale m’honore m’a tourné la tête ; elle m’a donné des patentes de prophète ; je ne me doutais pas que l’archevêque de Novogorod se fût rn effet déclaré contre le système absurde des deux puissances. J’avais raison sans le savoir, ce qui est encore un caractère de prophétie. Les incrédules pourront m’objecter que cet archevêque ne s’appelle pas Alexis[3], mais Démétri. Je pourrai répondre avec tous les commentateurs qu’il faut de l’obscurité dans les prophéties, et que cette obscurité rend toujours la vérité plus claire. J’ajouterai qu’il n’y a qu’à changer Alex en Démé, et is en tri, pour avoir le véritable nom de l’archevêque. Il n’y aura certainement que les impies qui puissent ne se pas rendre à des preuves si évidenles.

Je suis si bon prophète que je prédis hardiment à Votre Majesté la plus grande gloire et le plus grand bonheur. Ou les hommes deviendront entièrement fous, ou ils admireront tout

  1. Boileau a dit, satire VIII, vers 296 :

    Mener tuer un homme avec cérémonie.

  2. Voyez n° 6167, et l’addition donnée dans une note du n° 6246.
  3. Voltaire avait publié, en octobre 1765, un Mandement supposé, de l’archevêque de Novogorod-la-Grande, dans lequel il donnait à cet archevêque le nom d’Alexis ; voyez tome. XXV, page 345.