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intrigue qu’il s’agit principalement ; vous jugerez si elle est assez vraisemblable et assez attachante ; c’est là ce qui fait réussir les pièces au théâtre. La diction, la beauté continue des vers, sont pour la lecture. Esther est divinement écrite, et ne peut être jouée : le style de Rhadamiste est quelquefois barbare, mais il y a un très-grand intérêt, et la pièce réussira toujours. Je ne sais si je me trompe, mais j’aurais souhaité que Virginie n’eût point eu trois amants ; j’aurais voulu que l’état d’esclave dont elle est menacée eût été annoncé plus tôt, et que cet avilissement eût fait un beau contraste avec les sentiments romains de cette digne fille ; qu’elle eût traité son tyran en esclave, et que son père l’eût reconnue pour légitime à la noblesse de ses sentiments. Je voudrais que le doute sur sa naissance fût fondé sur des preuves plus fortes qu’une simple lettre de sa mère.

La conspiration contre Appius ne me paraît point faire un assez grand effet, elle empêche seulement que l’amour n’en fasse. Les intérêts partagés s’affaiblissent mutuellement.

J’aurais aimé encore, je vous l’avoue, à voir dans Virginius un simple citoyen, pauvre, et fier de cette pauvreté même. J’aurais aimé à voir le contraste de la tyrannie insolente et du noble orgueil de l’indigence vertueuse.

Mais je ne vous confie toutes ces idées qu’avec la juste défiance que je dois en avoir. Pardonnez-les, monsieur, au vif intérêt que je prends à votre gloire ; un mot, quoique jeté au hasard et mal à propos, fait souvent germer des beautés nouvelles dans la tête d’un homme de génie. Vous êtes plus en état de juger mes pensées que je ne le suis de juger votre ouvrage. Agréez l’estime infinie que je vous dois, et les sentiments d’amitié que vous faites naître dans mon cœur. Je supprime les compliments inutiles.


6231. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
13 janvier.

Cet ordinaire-ci, mes divins anges, sera consacré au vrai tripot, non celui de Genève, mais celui de la Comédie.

Nous avons lu Virginie à tous nos acteurs ; aucun n’a voulu y accepter un rôle. Je ne sais pas si la troupe de Paris est moins difficile que celle de Ferney ; mais on a trouvé l’intrigue froide, la pièce mal construite, sans aucun intérêt, sans vraisemblance, sans beauté ; on ne peut être plus mécontent.

Il se pourrait qu’après notre jugement rendu au pied du