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Je soupçonne que si M. le duc de Praslin se dégoûte d’un tracas qui n’est qu’un fagot d’épines, s’il est assez philosophe pour rester ministre avec la liberté de vivre avec ses amis et de jouir de ses belles possessions, M. de Chauvelin vous consolera. Il est parti bien brusquement de Turin, comme vous savez, et comme vous saviez sans doute avant qu’il partît. J’ai été confondu qu’il n’ait pas pris son chemin par mes masures ; mais il m’a mandé qu’il était très-pressé, et moi j’ai été très-fâché de ne pouvoir lui rendre mes hommages à son passage.

Vos Welches gâtent tout, ils détériorent jusqu’à l’inoculation. Ces choses-là n’arrivent point en Angleterre. Je suis bon Français, quoi qu’on die[1] ; je suis affligé des sottises que font certains corps ; ils se mettent évidemment dans le cas d’avoir tort quand ils auront raison.

Adieu, mon divin ange ; Mme Denis vous fait mille tendres compliments, et vous savez combien je vous idolâtre !

Que devient Mme d’Argental pendant votre absence ?


6141. — DE MADAME LA MAROUTSE DU DEFFANT[2].
Paris, samedi 26 octobre 1765.

M. de Florian a pris la peine de m’apporter lui-même le paquet dont vous l’aviez chargé. Je ne puis exprimer le plaisir que j’ai eu ; mais, comme il est écrit que je ne saurais avoir de joie parfaite, il se trouve qu’il manque à la lettre sur Mlle de Lenclos depuis la page 12 jusqu’à la page 61 inclusivement. Voyez quel malheur ! Si vous ne réparez pas cet accident, je serai au désespoir. J’ai fait cent mille questions à M. de Florian, mais j’en ai beaucoup encore à lui faire ; j’ai obtenu de lui et de madame votre nièce qu’ils souperont jeudi chez moi ; j’ai déjà l’honneur de connaître un peu Mme de Florian ; j’entrerai dans les plus grands détails avec elle ; je veux savoir tout ce que vous faites ; c’est être en quelque sorte avec ses amis que de les pouvoir suivre en idée. Je ne sors point d’étonnement de tout ce que je sais de vous ; vous renversez toutes mes opinions sur la philosophie. J’avais cru, jusqu’à présent, qu’elle consistait à détruire toutes les passions ; vous me faites penser aujourd’hui qu’il faut les avoir toutes, et qu’il ne s’agit que de bien choisir leurs objets. Vous êtes un être bien singulier, et tel qu’il n’y en a jamais eu de semblable. Je me rappelle le temps de notre première connaissance, dont il y a en vérité près de cinquante ans. Tout ce que vous avez fait, tout ce que vous avez vu, tout ce qui vous est arrivé, ferait une vie assez remplie pour deux ou trois cents hommes.

  1. Femmes savantes, acte III, scène ii.
  2. Correspondance complète, édition Lescure, 1865.