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dans ces occupations, il est dans la santé, valeat possessor oportet ; le maître de l’univers serait très-malheureux s’il digérait mal. Tout dépend de nos cinq sens ; tout le reste est bien peu de chose. À quoi sert le plus bel aspect du monde quand on devient quinze-vingt ? et qu’importent les perdrix quand on ne peut pas les manger ? Dieu merci, vous avez un bon estomac comme un bon esprit ; jouissez de ces deux pièces essentielles à la machine. Vivez heureux, vivez longtemps, et conservez-moi vos bontés.


Le presque aveugle V.

5517. — À M. D’ALEMBERT.
8 janvier.

Enfin je me flatte qu’il vous parviendra deux exemplaires de cette Tolérance non tolérée, à peu près dans le temps que vous recevrez ma lettre. Je me garderai bien, mon très-cher philosophe, de faire adresser un exemplaire à M. de La Reynière ; on lui saisirait son exemplaire tout comme aux autres. Figurez-vous que ceux qui étaient envoyés directement par la poste à M. de Trudaine et à M. de Montigny, son fils, n’ont jamais pu leur parvenir. Vous direz qu’à la poste M. de La Reynière est bien plus grand seigneur que M. de Trudaine ; désabusez-vous, s’il vous plait : un exemplaire adressé à M. Bouret, le puissant Bouret, l’intendant des postes Bouret, l’officieux Bouret, a été saisi impitoyablement.

Vous trouverez peut-être, par le calcul des probabilités, combien il y a à parier au juste que les prêtres et les cagots l’ont emporté dans cette affaire sur les ministres d’État les mieux intentionnés, et sur les personnes les plus puissantes. Vous conclurez qu’il y a tant de querelles en France sur les finances, qu’on n’entend point, que le ministère craint de nouvelles tracasseries sur la religion, qu’on entend encore moins. Le nom de celui à qui on attribue malheureusement le Traité sur la Tolérance effarouche les consciences timorées. Vous verrez combien elles ont tort, combien l’ouvrage est honnête ; et vous, qui citez si bien et si à propos la sainte Écriture, vous en trouverez les passages les plus édifiants fidèlement recueillis.

Je vous suis très-obligé de votre petit commerce épistolaire avec Jean-George[1] : voilà un impudent personnage. Je vous trouve bien bon de le traiter de monseigneur : aucun de nos

  1. Voyez page 62.