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les effets à la haine : ils n’ont regardé et traité comme frères que ceux qui étaient habillés de leur couleur ; quiconque portait leur livrée était regardé comme un saint ; celui qui ne l’était pas était saintement égorgé en ce monde et damné pour l’autre. Vous croyez, mon cher ami, que c’est de l’essence même du christianisme qu’il faut tirer toutes les preuves pour la nécessité de la tolérance ; c’est cependant sur les préceptes et les intérêts de cette religion que les charitables persécuteurs fondent leurs droits cruels, Jésus-Christ me paraît, comme à vous, doux et tolérant ; mais ses sectateurs ont été dans tous les temps inhumains et barbares : le parti le plus fort a toujours vexé le plus faible au nom de Jésus-Christ, et pour la gloire de Dieu. Lorsque nous vous persécutons, nous papistes, nous sommes conséquents à nos principes, parce que vous devez vous soumettre aux décisions de notre mère sainte Église. Hors de l’Église, point de salut. Vous êtes donc des rebelles audacieux ; lorsque vous persécutez, vous êtes inconséquents, puisque vous accordez à chaque charbonnier le droit d’examen : ainsi vos réformateurs n’ont renversé l’autorité du pape que pour se mettre sur son trône. Aux décisions des conciles vous avez fièrement substitué celles de vos synodes, et Barneveldt a péri comme Jean Huss. Le synode de Dordrecht vaut-il mieux que celui de Trente ? Qu’importe que l’on soit brûlé par les conseils de Léon X ou par les ordres de Calvin ?

Quel remède à tant de folies et de maux qui désolent le meilleur des mondes ? S’attacher à la morale, mépriser la théologie, laisser les disputes dans l’obscurité des écoles où l’orgueil les a enfantées, ne persécuter que les esprits turbulents qui troublent la société pour des mots. Amen ! amen !

Le malade de Ferney, qui ne voudrait persécuter personne que les brouillons, embrasse tendrement l’hérétique charitable et bienfaisant.


5495. — À M. L’ABBÉ D’OLIVET.
À Ferney, 26 décembre.

Mon cher doyen (car M. le maréchal de Richelieu n’est que le doyen des agréments, et vous êtes le doyen de l’Académie), je vous souhaite des années heureuses depuis 1764 jusqu’en 1784. Pour moi, je n’espère que peu de jours. Vous savez qu’il a plu à Dieu de me faire d’une étoffe très-faible et très-peu durable. Je