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Il est arrivé un grand malheur : les Cramer avaient envoyé leur ballot à Lyon ; tous pouvez juger s’il y avait des exemplaires pour vous et pour vos amis, Un M. Bourgelat, chargé de l’entrée des livres, n’a pas voulu laisser passer cette cargaison. On dit pourtant que ce Bourgelat est philosophe, et ami de M. d’Alembert. Serait-il possible qu’il y eût de faux frères parmi les frères ! Excitez bien vivement le zèle de Protagoras. Mandez-moi si la Tolérance n’excite point quelques murmures.

Les Cramer ont été obligés de faire prendre à leur ballot un détour de cent lieues, qui est aussi périlleux que long.

Je vous embrasse dans la communion des fidèles.

Écr. l’inf…


5482. — À M. D’ALEMBERT.
13 décembre.

Mon très-aimable et très-grand philosophe, ne faites point de reproches à votre pauvre ami presque aveugle. Il n’a pas eu un moment à lui. Ce bon quaker[1] qui a voulu absolument écrire un mot d’amitié à Jean-George ; ce rêveur qui a envoyé une ambassade de César à la Chine[2], et qui a fait venir en France un bramine du pays des Gangarides ; cet autre fou qui trouve mauvais que les hommes se détestent, s’emprisonnent pour des paragraphes ; quelques autres insensés de cette espèce, ont pris tout mon temps.

Vous ne savez pas d’ailleurs combien il est difficile de faire parvenir de gros paquets par la poste. Trouvez-moi un contre-signeur qui puisse vous servir de couverture, et vous serez inondé de rogatons.

Je hasarde, par cet ordinaire, une Tolérance que j’envoie pour vous à M. Damilaville, qui a ses ports francs, mais dont on saisit quelquefois les paquets, quand ils sont d’une grosseur un peu suspecte. Les pauvres philosophes sont obligés de faire mille tours de passe-passe pour faire parvenir à leurs frères leurs épîtres canoniques.

Que ces petites épreuves, mon cher frère, ne nous découragent point ; n’en soyons que plus fermes dans la foi, et plus zélés pour la bonne cause. Dieu bénira tôt ou tard nos bonnes intentions ; mais vous serez très-coupable d’avoir enfoui votre talent,

  1. Lettre d’un Quaker, tome. XXV, page 5.
  2. Voyez page 44.