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à un prêtre sortant du bordel, mais on persécutera ceux qui auront passé leur vie à chercher le vrai, et à faire le bien.

J’ai reçu la Philosophie de l’Histoire, qu’on m’a envoyée d’Amsterdam : il y a quelques fautes ridicules dans l’imprimé, comme cent mille pour dix mille, à l’article d’Égypte[1]. Il me semble aussi que l’auteur ne s’est pas toujours exprimé exactement dans le chaos de la chronologie ; mais, en général, l’ouvrage m’a paru assez utile.

L’auteur y montre partout un grand respect pour la religion ; il parle même si souvent de ce respect qu’on voit bien qu’il veut prévenir les lâches persécuteurs qui pensent toujours qu’on en veut à leurs foyers. Cependant, malgré toutes les précautions de l’auteur, on a envoyé de Paris à Berne un article pour être mis dans la Gazette, dans lequel il est dit que la Philosophie de l’Histoire est plus dangereuse encore que le Portatif. On me fait aussi l’honneur de m’attribuer cette Philosophie. Je voudrais l’avoir faite, quoiqu’on ne me l’attribue que pour me perdre. Mais de quel droit me rend-on responsable des ouvrages d’autrui ? Il n’est pas juste que je sois toujours victime. Il semble que l’abolissement des jésuites ait été un nouveau signal de persécution contre les gens de lettres.

Parlez de tout cela avec frère Archimède. Que les frères célèbrent les agapes, en dépit des tyrans jansénistes : dressez un autel à la raison dans votre salle à manger. Hæc quotiescumque feceritis, in mei memoriam facietis[2].

J’ajoute à cette lettre de mon ami qu’il m’est arrivé des personnes de Paris fort instruites. On a décacheté quelques-unes de nos lettres contresignées Courteilles : heureusement il n’y a jamais eu dans vos lettres rien que de vertueux et de sage, qui ne soit digne de vous. Mais, pour plus de sûreté, écrivez-moi quelque lettre sous la même enveloppe de Courteilles, et écrivez contre-signé Laverdy, à M. Camp, banquier à Lyon ; et, sous le couvert de M. Camp, à M. Wagnière, à Genève. Que frère Archimède prenne la même précaution, et qu’il vous donne tout ce qu’il voudra m’écrire. Vous recevrez par cet ordinaire une lettre[3] qu’on ouvrira si l’on veut.

Est-il possible qu’on soit obligé à de telles précautions, et que la plus douce consolation de la vie nous soit arrachée ?

  1. Voyez tome XI, page 59.
  2. Il y a dans la première Aux Corinthiens, chap. xi, verset 25 : « Hoc facite quotiescumque bibetis in meam commemorationem. »
  3. C’est la lettre qui suit.