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J’oserais soupçonner qu’il y a eu quelques tracasseries de la part d’une princesse de théâtre qui aura pu vous indisposer contre M. d’Argental, dont vous aimiez autrefois la bonhomie, les yeux clignotants, et la perruque à nid de pie. Il vous a de plus beaucoup d’obligations : c’est vous qui engageâtes le cardinal de Tencin à lui assurer une pension. Il serait trop ingrat, s’il avait oublié vos bienfaits. Il jure qu’il s’en souvient tous les jours, et qu’il ne vous a jamais manqué. Je suis trop intéressé à vous voir persévérer dans votre bienveillance pour vos anciens serviteurs, je vous suis trop attaché, trop sensible à toutes vos bontés, pour n’être pas affligé qu’un cœur reconnaissant soit dans votre disgrâce. J’ai pris quelquefois la liberté d’avoir de petites altercations avec M. d’Argental sur le tripot ; mais que n’oublie-t-on pas quand on est sûr d’un cœur ?

On a d’ailleurs tant de sujets de se plaindre des hommes, on est entouré dans ce monde de tant d’ennemis, ou déclarés ou secrets, que quand on est sûr de la fidélité et de l’attachement d’une personne, c’est une acquisition dont il est cruel de se défaire. Pour moi, je vous réponds bien que vous serez mon héros jusqu’au tombeau, et que je mourrai le plus fidèle et le plus respectueux de tous ceux qui vous ont été attachés.


6001. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
27 avril.

Mes divins anges, il me paraît que le tripot est un peu troublé. Si les comédiens étaient assez fermes pour dire : « Nous ne pouvons faire les fonctions de notre état, si on l’avilit ; nous sommes las d’être mis en prison si nous ne jouons pas, et d’être excommuniés si nous jouons ; dites-nous à qui nous devons obéir, du roi ou d’un habitué de paroisse : mettez-nous au dernier rang des citoyens, mais laissez-nous jouir des droits qu’on accorde aux gadouards, aux bourreaux et aux Fréron ; » si, dis-je, ils tenaient ce langage, et s’ils le soutenaient, il faudrait bien composer avec eux ; mais la difficulté sera toujours d’attacher le grelot.

Je me flatte que vous avez été un peu amusés par les dernières feuilles de l’abbé Bazin[1]. Si je peux en attraper encore, j’aurai l’honneur de vous en faire part.

  1. C’est sous le nom de Bazin que Voltaire avait publié la Philosophie de l’Histoire.