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voulu subjuguer notre raison, sont les principaux liens qui m’attachent à certains hommes, que vous aimeriez si vous les connaissiez. Feu l’abbé Bazin n’aurait point écrit sur ces matières si les maîtres de l’erreur s’étaient contentés de dire : « Nous savons bien que nous n’enseignons que des sottises, mais nos fables valent bien les fables des autres peuples ; laissez-nous enchaîner les sots, et rions ensemble ; » alors on pourrait se taire. Mais ils ont joint l’arrogance au mensonge ; ils ont voulu dominer sur les esprits, et on se révolte contre cette tyrannie.

Quel lecteur sensé, par exemple, n’est pas indigné de voir un abbé d’Houteville qui, après avoir fourni vingt ans des filles à Laugeois, fermier général, et étant devenu secrétaire de l’athée cardinal Dubois, dédie un livre sur la religion chrétienne[1] à un cardinal d’Auvergne, auquel on ne devait dédier que des livres imprimés à Sodome ?

Et quel ouvrage encore que celui de cet abbé d’Houteville ! quelle éloquence fastidieuse ! quelle mauvaise foi ! que de faibles réponses à de fortes objections ! quel peut avoir été le but de ce prêtre ? Le but de l’abbé Bazin était de détromper les hommes, celui de l’abbé d’Houteville n’était donc que de les abuser.

Je crois que j’ai vu plus de cinq cents personnes de tout état et de tout pays dans ma retraite, et je ne crois pas en avoir vu une demi-douzaine qui ne pensent comme mon abbé Bazin. La consolation de la vie est de dire ce qu’on pense. Je vous le dis une bonne fois.

Ne doutez pas, madame, que je n’aie été fort content de M. le chevalier de Mac-Donald[2] ; j’ai la vanité de croire que je suis fait pour aimer toutes les personnes qui vous plaisent. Il n’y a point de Français de son âge qu’on pût lui comparer ; mais ce qui vous surprendra, c’est que j’ai vu des Russes de vingt-deux ans qui ont autant de mérite, autant de connaissances, et qui parlent aussi bien notre langue.

Il faut bien pourtant que les Français vaillent quelque chose, puisque des étrangers si supérieurs viennent encore s’instruire chez nous.

Non-seulement, madame, je suis pénétré d’estime pour M. Crawford, mais je vous supplie de lui dire combien je lui

  1. La Vérité de la religion chrétienne ; voyez les notes, tome XX, pages 416,451 ; et XXIII, 32.
  2. James Mac-Donald, baronnet, mort à Frescati en Italie le 26 juillet 1766, âgé d’environ vingt-quatre ans ; voyez la Correspondance de Grimm, 1er septembre 1766.