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ne sont pas les seuls immolés au fanatisme : il y a une famille entière[1] du Languedoc condamnée pour la même horreur dont les Calas avaient été accusés. Elle est fugitive dans ce pays-ci ; le conseil de Berne lui fait même une petite pension. Il sera difficile d’obtenir pour ces nouveaux infortunés la justice que nous avons enfin arrachée pour les Calas après trois ans de soins et de peines assidues. Je ne sais pas quand l’esprit persécuteur sera renvoyé dans le fond des enfers, dont il est sorti ; mais je sais que ce n’est qu’en méprisant la mère qu’on peut venir à bout du fils ; et cette mère, comme vous l’entendez bien, c’est la superstition. Il se fera sans doute un jour une grande révolution dans les esprits. Un homme de mon âge ne la verra pas, mais il mourra dans l’espérance que les hommes seront plus éclairés et plus doux.

Personne n’y pourrait mieux contribuer que vous ; mais en tout pays les bons cœurs et les bons esprits sont enchaînés par ceux qui ne sont ni l’un ni l’autre.

Mes respects, je vous en supplie, à M. et. Mme Freudenreich.

Je vous embrasse du meilleur de mon cœur. V.


5964. — DE M. D’ALEMBERT.
26 mars.

Ô la belle lettre, mon cher maître, que vous venez d’écrire à frère Damilaville sur l’affaire des malheureux Sirven[2] ! Aussi a-t-elle le plus grand et le plus juste succès ; on se l’arrache, on verse des larmes, et on la relit, et on en verse encore, et on finit par désirer de voir tous les fanatiques dans le feu où ils voudraient jeter les autres. Je suis bien heureux que ma rapsodie sur la destruction de Loyola n’ait pas paru en même temps ; votre lettre l’aurait effacée, et le cygne aurait fait taire la pie. Je ne sais quand ma Destruction arrivera ; mais ce que je sais, c’est qu’il y a des personnes à Paris qui l’ont déjà, et que mon secret n’a pas été trop bien gardé. Quoi qu’il en soit, je recommande ce malheureux enfant à votre protection. Le bien que vous en direz fera l’avis de beaucoup de gens, et surtout le fera vendre : car c’est là l’essentiel pour que M. Cramer ne soit pas lésé.

Je ne sais ni le nom ni le sort du jeune jésuite que Simon Lefranc poussait par le cul à la procession[3]. Je n’ai vu Simon depuis longtemps qu’une seule fois, à l’enterrement de M. d’Argenson, où il était non comme homme de lettres, car il est trop grand seigneur pour se parer de ce titre, mais comme parent au quatre-vingt-dixième degré. S’il est encore à Paris, c’est

  1. Les Sirven ; voyez la lettre du 1er mars, n° 5929.
  2. La lettre du 1er mars, n° 5929.
  3. Voyez tome XXIV, page 458.