Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/489

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la calomnie. La conformité de nos caractères a produit notre amitié. J’ai passé ma vie à chercher, à publier cette vérité que j’aime. Quel autre des historiens modernes a défendu la mémoire d’un grand prince[1] contre les impostures atroces de je ne sais quel écrivain[2] qu’on peut appeler le calomniateur des rois, des ministres, et des grands capitaines, et qui cependant aujourd’hui ne peut trouver un lecteur ?

Je n’ai donc fait, dans les horribles désastres des Calas et des Sirven, que ce que font tous les hommes ; j’ai suivi mon penchant. Celui d’un philosophe n’est pas de plaindre les malheureux, c’est de les servir.

Je sais avec quelle fureur le fanatisme s’élève contre la philosophie. Elle a deux filles qu’il voudrait faire périr comme Calas, ce sont la Vèrité et la Tolérance ; tandis que la philosophie ne veut que désarmer les enfants du fanatisme, le Mensonge et la Persécution.

Des gens qui ne raisonnent pas ont voulu décréditer ceux qui raisonnent : ils ont confondu le philosophe avec le sophiste ; ils se sont bien trompés. Le vrai philosophe peut quelquefois s’irriter contre la calomnie, qui le poursuit lui-même ; il peut couvrir d’un éternel mépris le vil mercenaire qui outrage deux fois par mois[3] la raison, le bon goût, et la vertu ; il peut même livrer, en passant, au ridicule ceux qui insultent à la littérature dans le sanctuaire[4] où ils auraient dû l’honorer ; mais il ne connaît ni les cabales, ni les sourdes pratiques, ni la vengeance. Il sait, comme le sage de Montbar[5] comme celui de Voré[6] rendre la terre plus fertile, et ses habitants plus heureux. Le vrai philosophe défriche les champs incultes, augmente le nombre des charrues, et par conséquent des habitants ; occupe le pauvre et l’enrichit ; encourage les mariages, établit l’orphelin ; ne murmure point contre des impôts nécessaires, et met le cultivateur en état de les payer avec allégresse. Il n’attend rien des hommes, et il leur fait tout le bien dont il est capable. Il a l’hypocrite en horreur, mais il plaint le superstitieux ; enfin il sait être ami.

Je m’aperçois que je fais votre portrait, et qu’il n’y manquerait rien si vous étiez assez heureux pour habiter la campagne.

  1. Le duc d’Orléans, régent.
  2. La Beaumelle ; voyez tome XIV, page 478.
  3. Fréron ; son Année littéraire paraissait trois fois par mois.
  4. Lefranc de Pompignan ; voyez tome XXIV, page 111.
  5. Buffon.
  6. Helvétius.