Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/45

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une belle vocation pour écrire l’histoire des catins ; il se prépare de l’occupation pour toute sa vie.

Comme je ne peux pas le payer en même monnaie, je lui envoie les Remarques sur l’Histoire générale, et le Traité sur la Tolérance, qui est, comme vous savez, d’un brave théologien que je ne connais pas. Je prends la liberté de m’adresser à vous pour lui faire tenir cette petite cargaison, accompagnée d’une lettre[1] qui est dans le paquet. J’abuse de vos bontés ; mais vous m’avez accoutumé à l’excès de votre indulgence. Nous vous prions, Mme Denis et moi, d’être plus que jamais les anges de Ferney. Nous n’avons pas un moment à perdre pour rappeler notre affaire au conseil du roi ; c’est le seul moyen de nous tirer d’embarras. Nous vous supplions de nous mander les intentions de M. le duc de Praslin ; cette affaire est pour nous de la dernière importance, toute la douceur de notre vie en dépend. Nous remettons notre destinée entre vos mains.

On parle d’une tragédie nouvelle qui a beaucoup de succès[2], et vous ne nous en dites rien. Vous croyez donc que nous ne nous intéressons pas au tripot ? Le coquin de janséniste vient d’imprimer un gros volume contre le théâtre ; les jésuites du moins ne se seraient pas rendus coupables de ce fanatisme. On nous a défaits des renards, et on nous a mis sous la dent des loups[3]. Moi, je me mets toujours à l’ombre de vos ailes.


5463. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[4].
Au château de Ferney, 20 novembre.

Madame, un vieux solitaire, presque réduit au sort de Tirésie et d’Homère, et presque entièrement aveugle comme eux, sans avoir vu ni chanté comme eux les secrets des dieux, met aux pieds de Votre Altesse sérénissime ce petit ouvrage, qui n’est point encore public. On doit des prémices à un esprit aussi juste, aussi éclairé et aussi naturel que le vôtre. On les doit surtout à la protectrice des infortunés Calas et à celle qui aime la tolérance et la vérité. Votre suffrage, madame, sera la plus belle récompense de ce travail.

  1. Elle manque.
  2. Le comte de Warwick, tragédie de La Harpe, avait été jouée le 7 novembre 1763.
  3. Voyez la fable sur les renards et les loups, lettre 5322.
  4. Éditeurs, Bavoux et François.