Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/336

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et de Lorges, tandis qu’elle les prend pour un conseiller des Vingt-Cinq, lequel, en parlant au peuple assemblé, l’appelle mes souverains seigneurs. Ce pays-ci est l’antipode du vôtre.

Tout ce que je peux vous dire des princes en question[1], c’est que quand j’arrivai ils n’avaient pas de chausses, et qu’ils sont à présent fort à leur aise.

Ils m’avaient toujours fait accroire qu’ils avaient écrit à un libraire de Florence pour me faire avoir les livres italiens nouveaux. M. de Lorenzi[2] m’a mandé que ce libraire n’avait pas reçu de leurs nouvelles : c’est ce qui fait que j’ai si mal servi votre Gazette littéraire.

Il n’y a pas, je crois, d’autre voie que celle de M. le duc de Praslin pour vous faire tenir le livre infernal. Je mettrai sur votre enveloppe : Mémoire aux anges ; mais donnez-moi vos ordres.


5770. — À MADAME D’ÉPINAI.
25 septembre.

Un de nos frères, madame, que je soupçonne être le prophète bohémien[3], m’a écrit une belle lettre par laquelle il veut quelques exemplaires d’un livre diabolique[4], auquel je serais bien fâché d’avoir la moindre part. Ma conscience même serait alarmée de contribuer au débit de ces œuvres de Satan ; mais comme il est très-doux de se damner pour vous, madame, et surtout avec vous, il n’y a rien que je ne fasse pour votre service. Je fais chercher quelques exemplaires à Genève : ces hérétiques les ont tous fait enlever avec avidité. La ville de Calvin est devenue la ville des philosophes ; il ne s’est jamais fait une si grande révolution dans l’esprit humain qu’aujourd’hui. C’est une chose étonnante que presque tout le monde commence à croire qu’on peut être honnête homme sans être absurde ; cela me fait saigner le cœur.

Je vous prie, madame, de me recommander aux prières des frères. Je prie Dieu continuellement pour eux comme pour vous, et pour la propagation du saint Évangile. Vous savez qu’Esculape-Tronchin va inoculer les parlements[5], tandis que vos Welches

  1. Les frères Cramer, imprimeurs-libraires à Genève.
  2. Frère du comte de Lorenzi ; voyez la note, tome XL, paire 354.
  3. Grimm, auteur du Petit Prophète de Boehmischbroda, 1753, in-8o.
  4. Le Dictionnaire philosophique.
  5. Tronchin devait sans doute inoculer quelque personne d’une famille parlementaire.