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ce diabolique ouvrage n’entre chez les Welches. Si vous daignez lui dire ou lui faire dire un mot, je vous serai très-obligé. Il faut surtout qu’il soit persuadé que cette œuvre infernale n’est point de moi. Si j’étais l’auteur de tout ce qu’on met sur mon compte, j’aurais à me reprocher plus de volumes que tous les Pères de l’Église ensemble. Le petit ex jésuite est toujours au bout de vos ailes. Il attend les cinq, plus les trois, plus la première page du cinq. Cet opiniâtre candidat dit qu’il n’en démordra pas, dût-il travailler deux ans de suite ; c’est bien dommage que cela soit si jeune. On a de la peine à le former ; mais sa docilité et sa patience lui tiendront lieu de talent. Vous ne sauriez croire, mes anges, combien il vous aime.


5763. — À M. DAMILAVILLE.
19 septembre.

Mon cher frère, je reçois votre lettre du 13, dans laquelle vous trouvez le procédé de la philosoplie du Nord bien peu philosophe[1], et en même temps un de nos confrères me demande un Dictionnaire philosophique pour elle ; mais je ne l’enverrai certainement pas, à moins que je n’y mette un chapitre contre des actions si cruelles. Ce dictionnaire effarouche cruellement d’autres criminels appelés les dévots. Je ne veux jamais qu’il soit de moi ; j’en écris sur ce ton à M. Marin, qui m’en avait parlé dans sa dernière lettre, et je me flatte que les véritables frères me seconderont. On doit regarder cet ouvrage comme un recueil de plusieurs auteurs fait par un éditeur de Hollande. Il est bien cruel qu’on me nomme : c’est m’ôter désormais la liberté de rendre service. Les philosophes doivent rendre la vérité publique, et cacher leur personne. Je crains surtout que quelque libraire affamé n’imprime l’ouvrage sous mon non ; il faut espérer que M. Marin empêchera ce brigandage.

[2]J’ai fait acheter le Portatif à Genève ; il n’y en avait alors que deux exemplaires. Le consistoire des prêtres pédants, sociniens, l’a déféré aux magistrats ; alors les libraires en ont fait venir beaucoup. Les magistrats l’ont lu avec édification, et les prêtres ont été tout étonnés de voir que ce qui eût été brûlé il y a trente

  1. L’assassinat du prince Ivan.
  2. Dans la Correspondancs de Grimm, au lieu de ce qui termine cette lettre, on lit ce qui est à la fin de celle du 7 septembre, n° 5757.