Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/319

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur l’amour-propre dans ce Dictionnaire du diable : que l’amour-propre ressemble à l’instrument de la génération, qui nous est nécessaire, qui nous fait plaisir, mais qu’il faut cacher[1]. Cette comparaison est aussi charmante que juste. L’auteur aurait pu ajouter qu’il y a cette seule différence entre l’instrument physique et le moral, que le priapisme est l’état naturel et perpétuel du second, et que dans l’autre c’est une maladie dont frère Thieriot aurait pu nous donner autrefois des nouvelles, mais dont par malheur il est bien guéri. Adieu, mon cher philosophe et mon illustre maître.


5752. — À M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.
À Ferney, 31 auguste.

J’eus une belle alarme ces jours passés, monseigneur, pour votre commandant de Guienne. J’envoyai de mon lit, dont je ne sors guère, savoir des nouvelles de la brillante santé que Tronchin lui avait promise ; il venait de recevoir ses sacrements, et de faire son testament. La raison de cette opération soudaine, la voici :

Tronchin l’a condamné à ne manger que des légumes, des carottes, des fèves cuites à l’eau, « Monsieur, a dit M. le duc de Lorges, je ne peux digérer votre galimafrée ; elle me fait enfler le devant et le derrière. » On lui a appliqué les sangsues pour le derrière, et on lui a fait la ponction pour le devant : les vents ont redoublé de fureur, mais les sacrements ont un peu apaisé la tempête, et il est actuellement hors de danger. M. le duc de Randan son frère, et M. le duc de La Trimouille, sont arrivés avec vingt officiers : Mme Denis veut absolument leur donner la comédie. Je vais recevoir mes sacrements aussi, pour avoir une raison valable de ne point faire le baladin à soixante-dix ans.

J’apprends dans ce moment la mort de M. d’Argenson, et j’en suis plus touché que de celle de l’empereur Ivan[2], parce qu’il était plus aimable. Il va se raccommoder avec Mme de Pompadour, car ils ne pouvaient bien vivre ensemble que dans l’autre monde[3].

J’ai le ridicule de m’intéresser à l’élection d’un roi de Pologne ; mais je crains fort que l’aventure du prince Ivan, supposé qu’elle soit vraie, n’empêche M. Poniatowski, favori de l’impé-

  1. Voyez tome XVII, page 179.
  2. Poignardé le 16 août.
  3. Voyez pourquoi, tome XVI, pages 95 et 96.