Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome43.djvu/224

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que les Bernois ; mais je fais ce que je peux pour les imiter, et je crois rendre service à mon prochain quand je fais croître quatre brins d’herbe sur un terrain qui n’en portait que deux. J’ai bâti des maisons, planté des arbres, marié des filles ; l’ange exterminateur n’a rien à me dire, et je passerai hardiment sur le pont aigu[1]. En attendant, je vous aimerai bien véritablement, mon cher philosophe, tant que je végéterai dans ce monde.


5647. — À M. LE CLERC DE MONTMERCY.
Aux Délices, 16 mai.

Il y a des traits charmants, monsieur, dans tous les ouvrages que vous faites, des vers heureux et pleins de génie. Souffrez seulement que je vous dise qu’il ne faut pas prodiguer l’or et les diamants. Quand vous voudrez vous amuser à faire des vers, gardez-vous de trop d’abondance. Vous savez mieux que moi que quatre bons vers valent mieux que quatre cents médiocres. Quand vous en ferez peu, vous les ferez tous excellents. Vous sentez qu’il faut que je vous estime beaucoup pour oser vous parler ainsi.

Si vous n’avez rien à faire, et que vous vouliez quelquefois m’écrire des nouvelles de littérature, ou même des nouvelles publiques, à vos heures de loisir, vous me ferez beaucoup de plaisir ; mais surtout ne vous gênez pas. On ne doit faire ni vers ni prose, ni même écrire un billet, que quand on se sent en verve. C’est l’attrait du plaisir qui doit nous conduire en tout ; malheur à celui qui écrit parce qu’il croit devoir écrire ! Vous êtes philosophe, et par conséquent un être très-libre. Ma philosophie est la très-humble servante de la vôtre, et l’amitié que vous m’avez inspirée me fait espérer que vous en aurez un peu pour moi. Que cette amitié commence par bannir les cérémonies.


5648. — DE MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT[2].
Paris, 16 mai 1764.

Je suis ravie, monsieur, que l’honneur vous déplaise : il y a longtemps qu’il me choque ; il refroidit, il nuit à la familiarité, et ôte l’air de vérité.

  1. Expression du Sadder : voyez tome XXVII, page 433.
  2. Correspondance complète de la marquise du Deffant, etc., publiée par M. de Lescure, 1865.