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quand même vous m’auriez oublié. Je me mets aux pieds de madame votre fille, à condition qu’elle sera philosophe aussi.

Savez-vous bien que je suis quelquefois en commerce de lettres[1] avec monsieur votre fils ? Mais je lui demande pardon de n’avoir pas répondu à sa dernière lettre ; j’étais extrêmement malade. Je ne sors presque plus du coin de mon feu ; tout s’affaiblit chez moi, hors mon respectueux attachement pour vous. La tranquillité dont je jouis est la seule chose qui me fasse vivre. Je crois, madame, que vous avez mieux que la tranquillité ; vous devez jouir de tout le bonheur que vous méritez ; vous faites celui de vos amis, il faut bien qu’il vous en revienne quelque chose. Si avec cela vous avez de la santé, il ne vous manque rien. Pardonnez-moi, s’il vous plaît, de ne vous pas écrire de ma main : je deviens un peu aveugle ; mais on dit que quand il n’y aura plus de neige sur nos montagnes, j’aurai la vue du monde la plus nette. Je ne veux pas vous excéder par une longue lettre ; vous êtes peut-être occupée actuellement à coiffer la mariée. Je présente mes très-humbles respects à la mère et à la fille.


5583. — À M. DAMILAVILLE.
Aux Délices, 4 mars.

Mon cher frère, j’ai reçu votre lettre du 26 de février. Vous êtes un homme inimitable ; et plût à Dieu que vous fussiez imité ! Vous favorisez les fidèles avec un zèle qui doit avoir sa récompense dans ce monde-ci et dans l’autre.

M. Herman[2], qui est l’auteur de la Tolérance, vous doit mille tendres remerciements, en qualité de votre frère ; et Cramer, en qualité de libraire, vous en doit autant. Vous savez combien je m’intéresse à cet ouvrage, quoique j’aie été très-fâché qu’on m’en crût l’auteur. Il n’y a pas de raison à m’imputer un livre farci de grec et d’hébreu, et de citations de rabbins.

M. Herman trouve que l’idée d’en distribuer une vingtaine à des mains sûres, à des lecteurs sages et zélés, est la meilleure voie qu’on puisse prendre. Il faut toujours faire éclairer le grand nombre par le petit.

Mon avis est que si la cour s’effarouchait de ce livre, il faudrait alors le supprimer, et en réserver le débit pour un temps

  1. Elles sont perdue.
  2. Je ne connais aucune édition du Traité sur la Tolérance qui porte ce nom. (B.)