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comme nosseigneurs du parlement disent aujourd’hui les ci-devant soi-disant jésuites. Le plus difficile sera fait quand la philosophie sera délivrée des grands grenadiers du fanatisme et de l’intolérance ; les autres ne sont que des cosaques et des pandours qui ne tiendront pas contre nos troupes réglées. En attendant, toutes les dévotes de la cour, que les jésuites absolvaient


… des petits péchés commis dans leur jeune âge[1],


crient beaucoup contre la persécution qu’on leur fait souffrir, et sur la précipitation avec laquelle on les expulse. Je leur ai répondu que le parlement ressemblait à ce capitaine suisse qui faisait enterrer sur le champ de bataille des blessés encore vivants, et qui, sur les représentations qu’on lui faisait, répondait que, si on voulait s’amuser à les écouter, il n’y en aurait pas un seul qui se crût mort, et que l’enterrement ne finirait pas.

À propos de Suisse, savez-vous que frère Berthier se retire dans votre voisinage ? les uns disent à Fribourg ; les autres, chez l’évêque de Bâle. Il prétend qu’il ne veut plus aller chez des rois, puisqu’on l’accuse de les vouloir assassiner ; mais l’évêque de Bâle est roi aussi dans son petit village, et, à sa place, je ne me croirais pas en sûreté. Ce qu’il y a de fâcheux, c’est que ce frère Berthier, si scrupuleux sur son vœu d’obéissance, ne l’est pas tant sur son vœu de pauvreté, s’il est vrai, comme on l’assure, qu’il s’en aille avec quatre mille livres de pension pour la bonne nourriture qu’il a administrée aux Enfants de France. Par ma foi, mon cher maître, si cet homme est si près de chez vous, vous devriez quelque jour le prier à dîner et m’avertir d’avance ; je m’y rendrais ; nous nous embrasserions ; nous conviendrions réciproquement, nous, que nous ne sommes pas chargés de foi ; lui, qu’il est ennuyeux ; et tout serait fini, et cela ressemblerait à l’âge d’or.

On dit que le Corneille arrive. J’ai bien peur qu’il n’excite de grandes clameurs de la part des fanatiques (car la littérature a aussi les siens), et que vous ne soyez réduit à dire, comme George Dandin : « J’enrage de bon cœur d’avoir tort lorsque j’ai raison[2]. » Après tout, l’essentiel est pourtant d’avoir raison ; cela est de précepte, et la politesse n’est que de conseil. L’éclaircissement, comme dit la comédie[3], nous éclaircira sur la sensation que produira cet ouvrage. En attendant, riez, ainsi que moi, de toutes les espèces de fanatiques, loyolistes, médardistes, homéristes, cornélistes, racinistes, etc. ; ayez soin de vos yeux et de votre santé ; aimez-moi comme je vous aime, et écrivez-moi quand vous n’aurez rien de mieux à faire ; mais surtout laissez ce Crevier en repos. Quand les généraux sont bien battus, comme Jean-George et Simon son frère, les goujats doivent obtenir l’amnistie. Adieu, mon cher maître ; il faut que je respecte bien peu votre temps pour vous étourdir de tant de balivernes.

  1. Vers du Russe à Paris ; voyez tome X.
  2. Molière, George Dandin, acte I, scène vii.
  3. Dancourt, le Galant jardinier, scène ii.