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5528. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Aux Délices, 18 janvier.

J’étais mort, comme vous savez ; la lettre de mes anges, du 12 janvier, ne m’a pas tout à fait ressuscité, mais elle m’a dégourdi. Il y a eu certainement trois paquets détenus à la poste. On ne veut absolument point de livres étrangers par les courriers ; il faut subir sa destinée ; mais avec ces livres on a retenu le conte des Trois Manières[1], qui était adressé à M. de Courteilles ; et ce qu’il y a de plus criant, de plus contraire au droit des gens, c’est que ce conte manuscrit était tout seul de sa bande, et ne faisait pas un gros volume. Le roi ne peut pas avoir donné ordre qu’on saisît mon conte ; et s’il l’a lu, il en aura été amusé, pour peu qu’il aime les contes.

Je soupçonne donc que ce conte est actuellement entre les mains de quelque commis de la poste qui n’y entend rien. Comment fléchir M. Janel ? Est-il possible que la plus grande consolation de ma vie, celle d’envoyer des contes par la poste, soit interdite aux pauvres humains ? Cela fait saigner le cœur.

Ce qui m’émerveille encore, c’est que M. le duc de Praslin n’ait point reçu de réponse de monsieur le premier président de Dijon. Cette réponse serait-elle avec mon conte ? J’ai supplié M. le duc de Praslin de vouloir bien faire signifier ses volontés à mon avocat Mariette, Il fera ce qu’il jugera à propos.

Mais quoi ! la conspiration des roués s’en est donc allée en fumée ? J’ai envoyé en dernier lieu un cinquième acte des roués ; il est sans doute englouti avec mon conte. La pièce des roués me paraissait assez bien ; la conspiration allait son train. Ce cinquième acte me paraissait très-fortifié ; mais s’il est entre les mains de M. Janel, que dire ? que faire ? M. le duc de Praslin ne pourrait-il pas me recommander à M. Janel comme un bon vieillard qu’il honore de sa pitié ? Je suis sûr que cela ferait un très-bon effet.

Par où, comment enverrai-je une Olympie rapetassée qu’on me demande ? M. Janel me saisira tous mes vers.

M. Lefranc de Pompignan envoie par la poste autant de vers hébraïques qu’il veut, et moi, je ne pourrai pas envoyer un quatrain ! et mes paquets seront traités comme des étoffes des Indes !

Vous me parlez, mes divins anges, de distribution de rôles ;

  1. Voyez tome X.