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fils ; cependant ce saint réformé croyait avoir fait une bonne action, attendu que son fils voulait se faire catholique, et que c’était prévenir une apostasie : il avait immolé son fils à Dieu, et pensait être fort supérieur à Abraham, car Abraham n’avait fait qu’obéir, mais notre calviniste avait pendu son fils de son propre mouvement, et pour l’acquit de sa conscience. Nous ne valons pas grand’chose, mais les huguenots sont pires que nous, et de plus ils déclament contre la comédie

J’ai l’honneur d’être avec bien du respect, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.


Voltaire.

4866. — À M. FYOT DE LA MARCHE[1].
À Ferney, 25 mars.

Il y a longtemps que je n’ai eu l’honneur d’écrire à celui qui sera toujours mon premier président. J’ai bien des choses à lui dire. Premièrement, son parlement m’afflige. Le roi se soucie fort peu qu’on juge ou non les procès auxquels je m’intéresse ; mais moi, je m’en soucie. Voilà une plaisante vengeance d’écolier de dire : Je ne ferai pas mon thème parce que je suis mécontent de mon régent[2]. C’est pour cela au contraire qu’il faut bien faire son thème. J’apprends que vous faites tous vos efforts pour parvenir à une conciliation. Qui peut y réussir mieux que vous ? Vous serez le bienfaiteur de votre compagnie, c’est un rôle que vous êtes accoutumé à jouer.

Je vous demande pardon de donner des fêtes quand la province souffre, mais il est bon d’égayer les affligés. Il y en a de plus d’une sorte : il vient de se passer au parlement de Toulouse une scène qui fait dresser les cheveux à la tête ; on l’ignore peut-être à Paris ; mais si on en est informé, je défie Paris, tout frivole, tout opéra-comique qu’il est, de n’être pas pénétré d’horreur. Il n’est pas vraisemblable que vous n’ayez appris qu’un vieux huguenot de Toulouse, nommé Calas, père de cinq enfants, ayant averti la justice que son fils aîné, garçon très-mélancolique, s’était pendu, a été accusé de l’avoir pendu lui-même en haine du papisme, pour lequel ce malheureux avait, dit-on, quelque penchant secret. Enfin le père a été roué, et le pendu, tout huguenot qu’il était, a été regardé comme un martyr, et le

  1. Éditeur, Th. Foisset.
  2. Le parlement de Bourgogne avait suspendu ses audiences par suite de l’affaire Varennes.