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valent pas les vôtres ; mais voilà encore de quoi fermer la bouche à vos accusateurs. Vous avez en Turquie, comme en pays chrétien, des exemples qui vous autorisent.

Je suis quelquefois fâché d’être vieux et profane. Sans ces deux qualités, je viendrais vous faire ma cour ; mais je n’ai et je n’aurai que la consolation de vous assurer, du pied des Alpes, du respect et de l’attachement du Vieux de la montagne.


5419. — À M. D’ALEMBERT.
28 septembre.

J’apprends que Platon est revenu de chez Denys de Syracuse ; ce n’est pas que je ne vous croie au-dessus de Platon, et l’autre au-dessus de Denys, mais les vieux noms font un merveilleux effet. Vous avez par devers vous deux traits de philosophie dont nul Grec n’a approché : vous avez refusé une présidence et un grand gouvernement[1]. Tous les gens de lettres doivent vous montrer au doigt, comme un homme qui leur apprend à vivre. Pour moi, mon illustre et incomparable voyageur, je ne vous pardonnerai jamais de n’être pas revenu par Genève. Vous dédaignez les petits triomphes ; vous auriez été bien content de voir l’accomplissement de vos prédictions. Il n’y a plus dans la ville de Calvin que quelques gredins qui croient au consubstantiel. On pense ouvertement comme à Londres ; ce que vous savez est bafoué. Il n’y a pas longtemps qu’un pauvre ministre de village prêchant devant quelques citoyens qui ont des maisons de campagne, un de ces messieurs le fit taire. « Vous m’ennuyez, lui dit-il, allons dîner. » Il fit sortir de l’église toute l’honorable compagnie. Jean-Jacques, il est vrai, a été condamné, mais c’est parce que, dans un petit livret intitulé Contrat social, il avait trop pris le parti du peuple contre le magistrat : aussi le peuple, très-reconnaissant, a pris à son tour le parti de Jean-Jacques. Sept cents[2] citoyens sont allés deux à deux en procession protester contre les juges ; ils ont fait quatre remontrances. Ils soutiennent que Jean-Jacques était en droit de dire tout ce qu’il voulait contre la religion chrétienne ; qu’il fallait conférer amicalement avec lui, et non pas le condamner. Vous aurez dans quelque mois le plaisir d’apprendre qu’on aura destitué quatre syndics pour avoir

  1. La présidence de l’Académie de Berlin, et les fonctions de gouverneur ou plutôt d’instituteur du fils de Catherine II, qui régna sous le nom de Paul Ier.
  2. Dans sa lettre à Helvétius, du 20 auguste, Voltaire ne parle que de six cents.