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5234. — À M. JACOB VERNES[1].
Lundi soir, 14 mars 1763. Aux Délices.

Le parlement de Toulouse ayant condamné sur des indices Jean Calas, négociant à Toulouse, protestant, à être rompu vif et à expirer sur la roue comme convaincu d’avoir étranglé son fils aîné en haine de la religion catholique ; la veuve Calas et ses deux filles étant venues se jeter aux pieds du roi, un conseil extraordinaire s’est tenu le lundi 7 mars 1763, composé de tous les ministres d’État, de tous les conseillers d’État, et de tous les maîtres des requêtes. Ce conseil, admettant la requête en cassation, a ordonné d’une voix unanime que le parlement de Toulouse enverrait incessamment les procédures et les motifs de son arrêt.

Voilà des nouvelles bien consolantes. Je me suis flatté même que j’aurais bientôt des choses plus flatteuses à mander à M. Vernes. Mais j’ai bien peur que tout ne soit détruit par les Lettres toulousaines, composées, dit-on, par M. de Court[2], et imprimées à Lausanne sous le nom d’Édimbourg. Si ce livre se répand en France, il fournira sans doute des armes au parlement de Toulouse ; M. le comte de Saint-Florentin, qui n’est déjà que trop prévenu contre les Calas, et qui n’a point voulu entrer au conseil du 7 mars, pourra peindre au roi les protestants comme des séditieux qui attaquent indiscrètement les parlements et le conseil du roi dans le temps même que le roi assemble à Versailles le conseil le plus nombreux qui se soit tenu depuis cent ans, pour rendre justice aux protestants dans l’affaire la plus capitale et la plus intéressante.

Les Lettres toulousaines nous feront surtout un grand tort en mêlant l’affaire de Sirven avec l’affaire des Calas. On verra en moins de trois mois deux pères de famille accusés d’avoir assassiné leurs enfants pour cause de religion. Le parlement de Toulouse persuadera au roi que, si on infirme l’arrêt contre les Calas, on rendra les protestants plus audacieux, et le roi laissera peut-être ce grand procès indécis.

Il est d’une extrême importance que les Lettres toulousaines ne paraissent point en France. Les ouvrages qu’on peut écrire sur cette matière délicate ne peuvent être confiés qu’à des per-

  1. Éditeur. H. Beaune.
  2. Court de Gébelin. Barbier l’appelle Court dans le Dictionnaire des Anonymes, 2e édition, n° 17857.