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Je vais écrire aux frères Cramer, et j’enverrai, par la poste suivante, les deux exemplaires qu’on demande concernant le Despotisme oriental[1]. Ce livre, très-médiocre, n’est point fait pour notre heureux gouvernement occidental. Il prend très-mal son temps, lorsque la nation bénit son roi et applaudit au ministère. Nous n’avons de monstres à étouffer que les jésuites et les convulsionnaires.

M. Picardin demande absolument la préface[2] du Droit du Seigneur : cela est de la dernière conséquence ; il y a quelque chose d’essentiel à y changer. Je supplie donc qu’on me l’envoie par la première poste, et M. Picardin la renverra incontinent.

On n’a point reçu de lettre de frère Thieriot ; cela n’a pas trop bon air ; il devait, ce me semble, montrer un peu plus de sensibilité.

J’embrasse tendrement tous les frères. S’ils ne dessillent pas les yeux de tous les honnêtes gens, ils en répondront devant Dieu. Jamais le temps de cultiver la vigne du Seigneur n’a été plus propice. Nos infâmes ennemis se déchirent les uns les autres ; c’est à nous à tirer sur ces bêtes féroces pendant qu’elles se mordent, et que nous pouvons les mirer à notre aise.

Soyez persévérants, mes chers frères, et priez Dieu pour moi, qui ne me porte pas trop bien.

Élevons nos cœurs à l’Éternel. Amen.


4810. — À M. LE MARQUIS DE THIBOUVILLE.
Aux Délices, 26 janvier.

Je voud jure, mon cher marquis, que le Droit du Seigneur, qu’on intitule sottement l’Écueil du Sage, est une pièce meilleure sur le papier qu’au théâtre de Paris : car, à ce théâtre, on a retranché et mutilé les meilleures plaisanteries. Votre nation est légère et gaie, je l’avoue ; mais pour plaisante, elle ne l’est point du tout. Vous n’avez pas, depuis le Grondeur, un seul auteur qui ait su seulement faire parler un valet de comédie. Je conviens que l’intérêt et le pathétique ne gâtent rien ; mais sans comique point de salut. Une comédie où il n’y a rien de plaisant n’est qu’un sot monstre. J’aime cent fois mieux un opéra-comique que toutes vos fades pièces de La Chaussée. J’étranglerais Mlle Dufresne pour avoir introduit ce misérable goût des tragédies bourgeoises,

  1. Voyez la note, page 25.
  2. Cette préface ne nous est pas parvenue.