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de mois : on fait fondre de nouveaux caractères. Il y a déjà six volumes imprimés du Corneille, et il n’est pas possible d’imprimer à la fois deux ouvrages, dont chacun demande la plus grande attention. Puisse bientôt la paix, rendue à l’Europe, laisser aux esprits la liberté de cultiver les arts, et de vous imiter ! J’ai écrit à M. Boris de Soltikof[1]. Je serais bien fâché qu’un homme de son mérite, et d’un mérite formé par vous, ne conservât pas pour moi un peu d’amitié.

Agréez le tendre respect avec lequel je serai toute ma vie, etc.


5049. — DE M. D’ALEMBERT.
À Paris, ce 25 septembre.

Ce que vous me mandez de votre santé, mon cher et illustre maître, m’inquiète et m’afflige. Votre conversation et la lecture de vos ouvrages m’ont tant fait remercier Dieu de n’être ni sourd ni aveugle que je le trouverais bien injuste s’il vous punissait par deux sens que vous avez rendus si précieux à tous ceux qui savent penser. J’espère que vous conserverez vos yeux en les ménageant, et c’est de quoi je vous prie bien fort. À l’égard des oreilles, je n’y sais point d’autre remède que d’entendre le moins de sottises que vous pourrez ; par malheur, ce remède n’est pas d’une observation facile.

J’ai annoncé à l’Académie l’Héraclius de Calderon, et je ne doute point qu’elle ne le lise avec plaisir, comme elle a lu l’arlequinade de Gilles Shakespeare. Ce que je vous marquais sur votre traduction n’était qu’un doute ; et je suis convaincu, puisque vous m’en assurez[2], que vous avez conservé dans cette traduction le génie des deux langues ; personne n’est plus à portée de cela que vous.

Grâce à vous, j’espère que les Calas viendront à bout de prouver leur innocence ; mais savez-vous ce qu’il y a de plus fort à objecter à leurs mémoires ? C’est qu’il n’est pas possible d’imaginer, je ne dis pas que des magistrats, mais que des hommes qui ne marchent pas à quatre pattes aient condamné sur de pareilles preuves un père de famille à la roue. Il est absolument nécessaire (et je le leur ai dit) qu’ils préviennent dans leurs mémoires cette objection, en demandant que les pièces du procès soient mises sous les yeux du public. Cela est d’autant plus important qu’il y a ici des émissaires du parlement de Toulouse qui répandent que Calas le père a été justement condamné, que toute la ville de Toulouse en est convaincue, et que c’est par commisération qu’on n’a pas fait mourir les trois autres, qui le méritaient aussi. La justification est bien ridicule, puisque de façon ou d’autre il s’ensuivrait que les juges auraient prévariqué ; mais n’importe, il y a des sots

  1. Cette lettre manque.
  2. Lettre 5036.