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pagne, qui m’a envoyé la première édition de l’Héraclius de Calderon, en sait beaucoup plus que le confesseur et le Père Tournemine. Ce que dit Corneille dans l’examen d’Hèraclius, loin d’être une preuve que l’Héraclius espagnol est une imitation du français, semble prouver tout le contraire. Car, premièrement, il n’y a pas d’imitation ; l’Héraclius espagnol ne ressemble pas plus à celui de Corneille que les Mille et une Nuits ne ressemblent à l’Énéide ; et il ne s’agit, encore une fois, que d’une douzaine de vers. Secondement, Corneille dit[1] que sa pièce est un original dont il s’est fait plusieurs belles copies ; or certainement la pièce de Calderon n’est pas une belle copie, c’est un monstre ridicule.

Remarquez de plus que si Corneille avait eu un Espagnol en vue, si un Espagnol avait pu prendre deux lignes d’un Français, ce qui n’est jamais arrivé, Corneille n’eût pas manqué de dire que Calderon avait fait le même honneur à notre théâtre que Corneille avait fait au théâtre de Madrid, en imitant le Cid, le Menteur, la Suite du Menteur, et Don Sanche d’Aragon. Corneille, en parlant de ces prétendues belles copies, entend plusieurs tragédies, soit de son frère, soit d’autres poètes, dans lesquelles les héros sont méconnus et pris pour d’autres jusqu’à la fin de la pièce.

Enfin il n’y a qu’à lire l’Héraclius de Calderon ; cela seul terminera le procès. Vous pouvez lire, monsieur, ma lettre à l’Académie, ne fût-ce que pour l’amuser ; mais je me flatte qu’elle voudra bien peser mes raisons. Vous aimez le vrai plus que personne : il y a tant de préjugés dans ce monde qu’il faut au moins n’en point avoir en littérature.


4924. — À M. DAMILAVILLE[2].
7 juin.

Mon cher frère sait que je lui ai envoyé pendant six mois des paquets concernant Corneille pour l’Académie française. Je crois que messieurs les fermiers des postes n’ont point désapprouvé ce petit commerce ; mais je n’ai pas été si heureux dans ma correspondance avec M. d’Argental, à qui j’envoyais des paquets pour le secrétaire perpétuel de l’Académie sous l’enveloppe de M. de Courteilles. Ils ont décacheté l’enveloppe en dernier lieu, et fait payer à M. d’Argental des sommes assez considérables. Cela m’inquiète, et je crains qu’il ne soit arrivé quelque malheur à

  1. Voltaire cite le texte de Corneille, tome VII, page 536.
  2. Éditeurs, de Cayrol et François.