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4900. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
19 mai.

Mes divins anges, je suis un peu retombé, mais Tronchin dit toujours que je me relèverai. Je voudrais qu’on pût en dire autant de la France et de la comédie ; je les crois pour le moins aussi malades que moi ; je crois Lekain furieusement occupé. Il était naturel qu’il écrivît un petit mot à Mme Denis, qui ne l’a pas mal reçu ; mais les héros négligent volontiers les campagnards.

Me permettrez-vous de vous adresser cette lettre d’un Anglais pour M. le comte de Choiseul ? Il demande un passe-port pour s’en retourner en Angleterre par la France ; je ne sais si cela s’accorde, et si vous permettez à vos vainqueurs d’être témoins de votre misère. Au reste, le suppliant ne vous a jamais battus ; c’est un jeune homme qui aime tous les arts, et qui jouait parfaitement du violon dans notre orchestre. Je doute, malgré tout cela, qu’il lui soit permis de passer par Calais. Je serais bien fâché de demander à M. le comte de Choiseul quelque chose qui ne fût pas convenable.

Je vous supplie d’ailleurs de lui dire combien, je suis touché de la bonté qu’il a eue de s’intéresser pour mon triste état.

Vous ne me répondez jamais sur l’œil de Mme de Pompadour ; cependant je m’y intéresse : j’ai vu, il y a quinze ans, cet œil fort beau, et je serais fâché de sa perte. Dites-moi donc aussi quelque chose de la comédie de Henri IV[1] ; il me semble qu’elle doit tourner la tête à la nation.

Je me flatte de voir M. Pont-de-Veyle à la Marche au mois de juillet ; mais si ma mauvaise santé et Pierre Corneille me privent de ce plaisir, je lui conseillerai de passer par Ferney en s’en retournant par Lyon, et je lui donnerai la comédie.

Adieu, mes adorables anges. Tronchin nous quitte probablement au mois d’octobre pour M. le duc d’Orléans[2], et il fait fort bien ; et moi je veux prendre le prétexte un jour de l’aller consulter, afin de n’avoir pas à me reprocher de mourir sans avoir eu la consolation de vous revoir.

  1. Par Collé.
  2. Louis-Philippe, mort en 1785.