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pas portée au roi sur les bras du public attendri, et si le cri des nations n’éveille pas la négligence.

Il faut absolument que je vous parle aujourd’hui. Je vous prie que Donat Calas soit à portée, que M. l’avocat de Gobre (j’écris mal son nom[1]) soit de notre conférence. Appelez-y qui vous voudrez, M. Martin ou un autre. Plût à Dieu que M. Tronchin le professeur y fût ! Donnez-moi votre heure, je me rendrai chez vous ou chez M. Tronchin à l’heure que vous prescrirez[2].


4892. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Aux Délices, 15 mai[3].

Je vous écris enfin, mes divins anges, je ressuscite, et il est bon que vous sachiez que c’est vous qui m’aviez tué ; c’est le tripot, c’est un travail forcé, c’est la rage de vous plaire qui m’avait allumé le sang. J’avais, depuis trois mois, une fièvre lente, et je voulais toujours travailler et toujours me réjouir ; j’ai succombé, je le mérite bien. Je n’ai pas encore assez de tête pour vous parler d’Olympie ; mais j’entrevois que, de toutes les pièces du théâtre, ce sera la plus pittoresque, et que les marionnettes que Servandoni[4] donne au Louvre n’en approcheront jamais. Il me faudra une Statira malade, et une Olympie innocente ; Dieu y pourvoira peut-être.

Mandez-moi, je vous prie, des nouvelles du tripot, cela m’égayera dans ma convalescence. Avez-vous quelqu’un qui remplace Grandval ? Reprendra-t-on le Droit du Seigneur ?

Mais parlez-moi donc, je vous en prie, de l’œil de Mme de Pompadour. Il est bien singulier qu’une femme sur qui tous les yeux sont fixés en perde un incognito. On parle encore fort mal des deux de M. d’Argenson.

  1. En effet, Voltaire se trompe sur ce nom qui, plus tard, se rencontra souvent sous sa plume. Charles de Manoel de Végobre était un avocat protestant de la Salle en Languedoc ; la persécution l’avait obligé de se réfugier à Genève ; il y fut jusqu’à sa mort, en 1801, un protecteur infatigable des protestants de France. Dans l’affaire des Calas en particulier, il devint, avec le négociant Debrus, le banquier Cathala et le pasteur Moultou, le conseil secret et très-actif de la famille du condamné. Voltaire lui écrivit souvent. (Note du premier éditeur.)
  2. L’adresse est : « À monsieur, monsieur de Bruce, derrière le Rhône. »
  3. On trouve dans les Questions sur l’Encyclopédie (ou Dictionnaire philosophique, voyez tome XVII, page 215) une lettre à Damilaville, du 7 mai 1762, qui ne pouvait être transposée, qu’il serait superflu de répéter ici, mais qu’il est bon d’y mentionner.
  4. Grimm parle du spectacle de Servandoni dans sa Correspondance, mai 1757.