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faud[1] ; je sais et je respecte toute la répugnance que vous y avez, quoique depuis Malagrida les échafauds aient leur mérite ; mais je vous demande de nous faire voir, ce qui ne tient qu’à vous, qu’en fait de tragédie nous ne sommes encore que des enfants bien élevés ; et les autres peuples, de vieux enfants. Votre réputation vous permet de risquer tout ; vous êtes à cent lieues de l’envie ; osez, et nous pleurerons, et nous frémirons, et nous dirons : Voilà la tragédie, voilà la nature. Corneille disserte. Racine converse, et vous nous remuerez.

À propos, vraiment j’oubliais de vous remercier de la mention honorable que vous avez faite de moi dans votre lettre à l’abbé d’Olivet, telle que vous l’avez envoyée au Journal encyclopédique[2] : car il est bon de vous dire que mon nom ni celui de Duclos ne se trouvent point dans l’imprimé de Paris, malgré ce que vous aviez recommandé à ce sujet, comme je le sais de science certaine ; c’est votre ancien instituteur, Josephus Olivetus, qui a fait, en tout bien et tout honneur, cette petite suppression, dont j’aurai le plaisir de le remercier à la première occasion favorable, mais toujours en riant, parce que cela est bon pour la santé.

Oui vraiment, les prêtres de Genève sont comme des diables contre la comédie ; mais on dit aussi que vous en êtes un peu la cause. Vous vous êtes un peu trop moqué de ces sociniens honteux ; vous avez fait rire à leurs dépens ; et, pour s’en venger, ils voudraient bien que vous ne fissiez pleurer personne. Il faut que les comédiens de l’église et ceux du théâtre se ménagent réciproquement. À l’égard de Rousseau, j’avoue que c’est un déserteur qui combat contre sa patrie ; mais c’est un déserteur qui n’est plus guère en état de servir, ni par conséquent de faire du mal ; sa vessie le fait souffrir, et il s’en prend à qui il peut. Prions Dieu qu’il conserve la nôtre.

On dit que les jésuites font courir dans les maisons trois mémoires manuscrits pour leur justification. C’est beaucoup que trois, car je crois qu’ils auraient de la peine à en faire lire un seul, tant l’animosité publique est grande. On dit qu’ils prouvent dans un de ces mémoires que le parlement a falsifié et tronqué les passages de leurs constitutions. Cela pourrait bien être, puisque Omer-Anytus, dans son beau réquisitoire[3], a bien falsifié et tronqué, d’après Abraham Chaumeix, les passages de l’Encyclopédie.

Adieu, mon cher philosophe ; faites des tragédies, moquez-vous de tout, et portez-vous bien.

  1. Voyez la note, page 20.
  2. Voyez cette lettre du 20 août, n° 4645. La phrase est dans la variante.
  3. Le réquisitoire d’Omer Joly de Fleury contre l’Encyclopédie est du 23 janvier 1759.