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À l’égard de vos raisonnements et des nôtres sur les remords de Cinna, qui, selon vous, viennent trop tard, et qui, selon nous, viennent assez tôt, ce sont là, ce me semble, des questions sur lesquelles on peut dire le pour et le contre sans se convaincre réciproquement. Je voudrais donc, sans prétendre que vous ayez tort (car le diable m’emporte si j’en sais rien), je voudrais que vous ne fissiez aucune critique qui fût sujette à contradiction, et que vous vous bornassiez aux fautes évidentes contre le théâtre ou la grammaire ; vous aurez encore assez de besogne. Croyez-moi, ne donnez point de prise sur vous aux sots et aux malintentionnés, et songez qu’un vivant qui critique un mort en possession de l’estime publique doit avoir raison et demie pour parler, et se taire quand il n’a que raison. Voyez comme on a reçu les pauvres gens qui ont relevé les sottises d’Homère ; ils avaient pourtant au moins raison et demie, ces pauvres diables-là ; et le grand tort de Lamotte n’a pas été de critiquer l’Iliade, mais d’en faire une.

Réservez donc, mon cher maître, les vessies de cochon au lieu d’encensoir pour les Pompignan et consorts ; pour ceux-là, on ne demande qu’à rire à leurs dépens ; et vous aurez le double plaisir de faire rire et d’avoir raison. Il est vrai que si la guerre continue, je crois que Pompignan même ne fera plus rire personne. Pour moi, je rirai le plus longtemps que je pourrai, et vous aimerai plus longtemps encore. Adieu, mon cher philosophe.


4706. — À M. DE CHENEVIÈRES[1].
Ferney, 10 octobre.

Les ermites de Ferney présentent leurs hommages aux hôpitaux de Versailles. Nous n’avons jamais si bien mérité le nom d’ermites. J’ai cédé depuis deux mois les Délices à. M. le duc de Villars. J’ai eu quelque temps M. le comte de Lauraguais[2], et à présent je suis tout à Corneille. L’entreprise est délicate ; il s’agit d’avoir raison sur trente-deux pièces : aussi je consulte l’Académie toutes les postes, et je soumets toujours mon opinion à la sienne. J’espère qu’avec cette précaution l’ouvrage sera utile aux Français et aux étrangers. Il faut se donner le plus d’occupation que l’on peut pour se rendre la vie supportable dans ce monde. Que deviendrait-on si on perd son temps à dire : Nous avons perdu Pondicliéry, les billets royaux perdent soixante pour cent, les particuliers ne payent point, les jésuites font banqueroute ? Vous m’avouerez que ces discours seraient fort tristes. Je

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. C’est le généreux amateur de l’art dramatique, qui donna 50,000 francs aux comédiens pour débarrasser la scène des spectateurs qui l’encombraient et détruisaient l’illusion. (Note des premiers éditeurs.)