Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/315

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. de Soltikof me tient quelquefois lieu de vous, monsieur ; il me semble que j’ai l’honneur de vous voir et de vous entendre quand il me parle de vous, quand il me fait le portrait de votre belle âme, de votre caractère généreux et bienfaisant, de votre amour pour les arts, et de la protection que vous donnez au mérite en tout genre. Soyez bien sûr que de tous ces mérites que vous encouragez, celui de M. de Soltikof répond le mieux à vos intentions. Il passe des journées entières à s’instruire, et les moments qu’il veut bien me donner sont employés à me parler de vous avec la plus tendre reconnaissance. Son cœur est digne de son esprit ; il échaufferait mon zèle, si ce zèle pouvait avoir besoin d’être excité.

Je crois pouvoir ajouter à cette lettre que, depuis les reproches cruels que m’a faits un certain homme[1] d’écrire l’histoire des ours et des loups, je n’ai plus aucun commerce avec lui. Je sais très-bien qui sont ces loups ; et si je pouvais me flatter que la plus auguste des bergères, qui conduit avec douceur de beaux troupeaux, daigne être contente de ce que je fais pour son père, je serais bien dédommagé de la perte que je fais de la protection d’un des gros loups de ce monde.

J’ai l’honneur d’être avec l’attachement le plus inviolable et le plus tendre respect, monsieur, de Votre Excellence le très-humble, etc.


Le vieux Mouton broutant au pied des Alpes.

4555. — À MADAME DE FONTAINE,
à paris.
31 mai.

Ma chère nièce, à présent que vous avez passé huit jours avec M. de Silhouette, vous devez savoir l’histoire de la finance sur le bout de votre doigt. Je crois qu’il pense comme l’Ami des hommes[2], qu’il n’est pas l’ami d’un tas de fripons qui ont su se faire respecter et se rendre nécessaires, en s’appropriant l’argent comptant de la nation ; mais je crois que M. de Silhouette est un médecin qui a voulu donner trop tôt l’émétique à son malade. Le duc de Sully ne put remettre l’ordre dans les finances que pendant la paix. Je sais que les déprédations sont horribles, et je sais aussi que ceux qui ont été assez puissants pour les faire le

  1. Frédéric II ; voyez page 43.
  2. Titre d’un ouvrage du marquis de Mirabeau ; voyez tome XX, page 249.